dimanche 19 janvier 2014

Les risques psychosociaux à l’épreuve de la systémique

La pensée systémique a pour ambition d’approcher les différents champs d’influences déterminant l’individu dans son fonctionnement.


Ce regard exhaustif sur l’histoire du sujet/patient garantit des outils de compréhension et d’action dans la relation d’aide. Il évite les biais de la déformation, de l’injustice et de la confusion. Dans une prise en charge thérapeutique, l’approche globale des systèmes permet ainsi une reconnaissance et une maîtrise « bienveillante » des manques légitimes de l’homme.


Le salarié est inclus dans divers systèmes

Les systèmes sont des ensembles d’éléments en interaction formant une unité et œuvrant à un but commun. La famille, la société, le groupe de travail sont des sous-systèmes et des systèmes dans lesquels l’homme est inclus. Leur fonctionnement impacte les réactions de l’individu. Les risques psycho-sociaux sont  donc le fruit de cette interdépendance entre le système individu et le système travail. Ils signent le déséquilibre entre les attentes-les idéaux du salarié et la réalité du cadre de travail. Selon les propriétés homéostasiques (d’équilibrage) des systèmes, le symptôme survient à une période de  désorganisation de leur structure. Il indique un appel au changement mais aussi, dans un même mouvement, des résistantes signifiantes à ces changements. Ainsi, le trouble perd sa dimension illogique pour révéler tout son sens.

Dans le contexte professionnel, le soignant a une grille de lecture pertinente afin d’accompagner le travailleur stressé. En effet, cette dynamique systémique permet de dégager des principes essentiels dans l’abord de la souffrance :

- Le symptôme est fonctionnel et il survient à un moment de nécessaires - mais de difficiles - réaménagements de la place du travailleur souffrant dans son système professionnel,
- La résolution du symptôme passe par sa recrudescence dans les débuts du traitement (sous l’effet des résistances au changement),
- Le traitement du symptôme ne doit pas être invasif car une caractéristique essentielle du symptôme est d’être une phobie du changement.

Des changements plus faciles à engager dans un système collectif

Ces repères systémiques mettent en relief l’importance d’un partenariat étroit entre le salarié et son aidant afin de démanteler les résistances symptomatiques. L’information pertinente est détenue par le souffrant. Lui seul sait où cela résiste en lui. L’écoute attentive de ses frustrations permet de circonscrire sa zone phobique du changement et de la prendre en considération dans les décisions thérapeutiques prises. Dans une première dynamique, il est logique que le mouvement de rééquilibrage, entre le système individu et le système travail, soit attendu du côté du salarié. La force conservatrice des valeurs du système groupal de l’entreprise est bien plus signifiante que celle du sujet. L’homme, à sa naissance, construit son identité dans une masse indifférenciée par rapport à ses groupes d’appartenance. Il a tendance, inconsciemment, à sacrifier ses objectifs personnels pour se mettre au service des buts collectifs.

Ainsi, l’impulsion de la transformation aura davantage de chance de se produire du côté de l’individu plutôt que de la collectivité. Des politiques de restructuration, au sein de l’entreprise, peuvent être décidées afin de réfléchir à l’optimisation de l’équilibre entre les aspirations du travailleur et les exigences du poste. Toutefois, elles sont plus complexes à mettre en place car elles impliquent des rigidités collectives plus consistantes que les dysfonctionnements d’un seul homme.

Quelles sources donner au stress professionnel ? 

Le stress professionnel revêt des causes diverses. Il peut être induit par une organisation de travail en inadéquation avec les modalités de fonctionnement du salarié. Il peut être le résultat d’une inadaptation interpersonnelle se traduisant par un manque de soutien social ou des conflits d’équité. Enfin, la dimension intra-individuelle du problème est celle qui nous intéresse davantage car elle est celle que le thérapeute peut travailler avec le souffrant. Elle est aussi la cause la plus accessible et la plus flexible au changement.

Quelles bonnes dynamiques défensives à adopter par le salarié ?


A. Ne pas porter les responsabilités des membres de son système de travail 
Cet épuisement interne du sujet, en lien à son activité, met en relief des fragilités défensives. En effet, dans une approche systémique, celui qui porte le symptôme dans un groupe d’appartenance est celui qui condense sur lui le stress de tous ses membres. Il n’est donc pas assez individualisé et il a donc tendance à reprendre à son compte les responsabilités des autres. Une des premières dynamiques à insuffler au souffrant est donc de l’aider à différencier ce qui relève de ses manques de ceux d’autrui. Cet objectif est essentiel car l’individu peut seulement élaborer et régler les dysfonctionnements l’impliquant. Autrement, il s’épuise émotionnellement et narcissiquement, impuissant à dénouer un problème qui n’est pas le sien et qu’il croit faussement pouvoir bousculer.

Concrètement, divers exemples peuvent être évoqués. Le salarié, acceptant une surcharge de travail ou des tâches contradictoires, porte la problématique de son commanditaire. L’infirmier, démoralisé du peu d’avancement de son patient dépressif, oublie qu’il y a des manques auxquels il ne peut pas se confronter à la place du souffrant. La victime d’harcèlement, fléchissant aux demandes et se dépréciant, tamponne les fragilités narcissiques de son agresseur.

Il s’agit donc pour le stressé de redistribuer dans son système l’ensemble des forces régressives, centralisé sur lui et appartenant au groupe dans son entier. S’il ne s’attribue pas les fragilités des membres de son système, il leur restitue et donc il les oblige à s’y confronter et à les élaborer. Ainsi, une soignante m’avait expliqué comment son attitude plus affirmée à respecter ses horaires de travail, à moins s’impliquer dans des projets institutionnels, avait obligé sa DRH à créer un poste. Elle n’avait plus alors camouflé les manques et elle avait ainsi forcé la direction à réagir. Ses collègues avaient également dû plus s’engager dans les projets d’équipe.

B. Ne pas projeter ses manques sur les membres de son système travail 
Bien sûr, si le salarié ne doit pas porter les fragilités de son système, il doit affronter les siennes. Notamment, un handicap évident le définit. Il est mis en relief par ses troubles. Il s’agit de sa position de réceptacle du stress groupal. Il doit donc travailler à la délimitation de son espace personnel dans son espace professionnel mais également dans ses autres systèmes d’appartenance. Il doit également oser regarder ses propres manques car sinon il aura tendance à les projeter sur l’extérieur. En les attribuant aux autres, il ne pourra pas s’en défaire puisqu’il n’aura pas conscience qu’il doit les travailler.

Dans le système hospitalier, il est fréquent d’observer dans les réunions d’équipe le peu de moment où les soignants s’interrogent sur leur manque. Les diagnostics nosographiques centrés sur le déficit du souffrant, les descriptions détaillées des dysfonctionnements du patient, les jugements sont malheureusement très prégnants. Il est rare que les soignants se penchent sur la manière dont leurs propres fragilités interfèrent dans l’évolution de la prise en charge.

Par exemple, un médecin justifie l’abandon d’une prise en charge par le fait que le patient ne lui parle pas. Il reproche à la psychologue d’entretenir une relation privilégiée avec le souffrant. A la question de sa collègue « Lui poses-tu des questions, comment t’intéresses-tu à son histoire de vie ? », il répond « non parce qu’il ne parle pas ! ». Cette anecdote est signifiante. Elle révèle les difficultés narcissiques des individus à se poser sur leurs manques.

Le système professionnel doit avancer en reconnaissant la légitimité des manques de ses salariés

A l’heure où nous vivons dans une ère de rendement, de performance et d’urgence, il est malheureusement très facile pour les travailleurs de se réfugier derrière cette politique d’hyperactivité. Ils fuient alors, inconsciemment, les espaces de réflexion leur permettant de se confronter à leurs failles. La société actuelle n’encourage pas la reconnaissance des manques légitimes de l’homme. Celui-ci doit être le plus compétent possible. Il doit contrôler au mieux. Cette attitude amène au développement d’une « honte du manque ». Or si l’homme n’assume pas et s’il nie ses incomplétudes, il ne peut pas les penser, les élaborer et les dénouer. Il n’apprend jamais et s’enfonce dans ses dysfonctionnements !

L’aidant doit ainsi mettre en relief l’importance pour le travailleur d’être dans une démarche d’acceptation et de respect de ses manques naturels. Il doit toutefois lui faire réaliser qu’il est essentiel qu’il les circonscrive pour les réfléchir et les faire évoluer. Durant le temps de crise, le thérapeute est présent pour offrir cet espace d’analyse et d’introspection. Toutefois, il serait appréciable que le système professionnel aménage ce cadre d’élaboration et de lâcher prise bien avant la saturation psychique du personnel ! Dans l’hôpital où je travaille, les espaces de parole et les supervisions sont inexistantes alors que l’équipe travaille avec des suicidants. Si vous croisez les médecins, ils vous diront souvent que la réunion du jeudi ne peut avoir lieu car ils sont surbookés ! Mais en quoi est-ce utile d’assurer cinq entretiens dans la journée si les problématiques du patient ne sont pas vues ? Seuls les temps de partage interpersonnel, de centration sur ses résonances internes, de prise de recul, d’analyse groupale permettent une étude pertinente de la situation clinique.
Cette réalité hospitalière peut se transposer à toute autre entreprise. Elle met en relief les clés majeures de l’avancement : Distinguer ses manques de ceux d’autrui, se confronter sans honte à ses failles et ne travailler que ses fragilités. Un point également essentiel, dans cette démarche d’évitement des risques psycho-sociaux, consiste à accepter la recrudescence des troubles lors de l’élaboration du problème.

Une recrudescence de symptômes durant la solidification du salarié en difficulté

Dans un système, lorsqu’un de ses membres change de place, le reste du groupe essaie de le repositionner dans ses anciennes fonctions afin de rétablir l’équilibre antérieur. Il s’agit du principe homéostasique régulant les systèmes. Tout changement attire donc des résistances conservatrices. Plus un système est rigide, plus les transformations engendrent le déchainement des forces régressives. Ainsi, la superposition de ce principe systémique, au monde professionnel, éclaire sur le contexte bruyant dans lequel s’effectue la libération du stress pour le travailleur. D’ailleurs, la personne harcelée, lorsqu’elle commence à s’affirmer, est souvent obligée de se mettre en arrêt maladie face aux forces périphériques résistantes qu’elle a déchainées dans ses avancées.

Prenons l’exemple d’une patiente arrêtée car elle est épuisée émotionnellement et physiquement : elle est, depuis plusieurs mois, harcelée car elle occupe un poste où elle tient des responsabilités importantes en tant qu’intérimaire ; Elle présente des compétences que ses collègues n’ont pas. Des rivalités et des enjeux professionnels importants ont progressivement fait jour. Elle subit des agressions verbales et les conduites désadaptées de ses pairs. Depuis que son entreprise a connaissance de ses entrevues avec un avocat et d’enregistrements faits à leur insu, elle a vu  redoubler l’agressivité de ses collaborateurs. Elle a été remercié, son contrat n’a pas été renouvelé, elle a reçu des menaces. Sa dynamique confrontative a donc attiré les résistances professionnelles. De même, ses résistances internes se sont accentuées. Elle s’alcoolise car elle a peur de ne pas pouvoir contenir sa colère. Ainsi, sur le chemin d’avancement, les mouvements dangereux et régressifs sont présents. Le travailleur épuisé doit être informé de ce fait afin de ne pas se laisser déstabiliser par ce processus naturel. Il acceptera de poursuivre la confrontation s’il sait que cette souffrance de la progression n’est pas vaine. L’homme expérimente, de façon instinctive, les bonnes solutions. S’il ne les poursuit pas et que la problématique s’enkyste, c’est parce qu’il pense que le parcours bruyant qu’il emprunte n’est pas le bon. Il est en cela important de rappeler au souffrant la nature chaotique, éprouvante mais incontournable du mouvement d’avancement.

Un rythme modéré à respecter dans le démantèlement des dysfonctionnements systémiques rigides

Une des dimensions également essentielle de la crise structurante est le processus lent de son dénouement. Plus un système est rigide, plus les résistances et le déconditionnement aux anciens repères fonctionnels sont signifiants. Qu’il s’agisse de l’organisation interne du sujet ou de son système professionnel, leur transformation mobilise un système défensif phobique. Ainsi, le sujet doit respecter et accepter le rythme très laborieux du démantèlement des dysfonctionnements personnels et institutionnels.

Par exemple, le salarié doit savoir quitter un poste car les fragilités personnelles, qui le mettent en inadéquation de cette activité, ne peuvent pas se régler rapidement. La personne endeuillée d’un proche avec qui elle était en conflit, travaillant dans un service de gérontologie, doit savoir se mettre en retrait un certain temps. La colère, l’agressivité et la détresse activées par le trauma seront des projections néfastes pour le soignant et le patient. L’aidant risque d’être étouffé par des symptômes trop signifiants avant de dénouer son problème. L’aidé risque d’être impacté fortement par la douleur de l’éprouvé. De même, dans l’unité ou j’exerce, j’ai mis un cahier de liaison à disposition pour l’équipe. J’y inscris des observations sur la problématique du patient. Les réunions sont fuies car chacun a peur de s’exposer à ses propres manques de soignant. Au lieu d’insister, de manière stérile, sur l’importance de se retrouver dans ses liens d’échanges, ce cahier garantit la confrontation moins directe à l’étude des prises en charge. De manière informelle et non groupale, les infirmiers et autres membres de l’équipe viennent me questionner sur les écrits thérapeutiques faits et sur leurs impressions personnelles. Cette coopération expose moins au manque mais elle permet de le travailler dans le respect du rythme et de la pudeur de chacun.

Quels systèmes interférents avec le système professionnel ?

Face à ces diverses interférences entre le système temporel, le système individuel, le système professionnel, le système sociétal, il est important que le salarié puisse se référer à des « systèmes hors cadre » qui pourront l’aider à discerner  les manques qu’il doit travailler et la manière d’avancer. La justice, le monde soignant, l’espace loisir peuvent être ces champs d’informations non parasités par les résistances des systèmes d’appartenance du souffrant. Ils peuvent faciliter la compréhension des dynamiques confrontatives à mettre en place pour avancer.

Le système familial peut être notamment impliqué dans le maintien du déséquilibre entre le système individu et le système travail. En effet, une célibataire harcelée peut continuer de s’exposer aux agressions de son employeur afin de garder son travail. Elle doit nourrir ses enfants. Le manque de soutien familial et social l’oblige à condenser tout le stress sur elle. La redistribution des tensions dans son système familial et social devra alors passer par son arrêt de travail. En effet, les indemnités sociales et l’aide familiale seront alors obligés de poindre et de rassembler les personnes concernées !

Pour conclure, le système sociétal et politique est fortement intégré aux problématiques rencontrées par le travailleur. Il détermine, de façon significative, les difficultés de l’individu à prendre une place adaptée dans son système professionnel. Pour exemple, dans le milieu soignant, les fonctions excessives laissées au médecin dans les prises de décision thérapeutiques engendrent bien des biais. Le manque de consultation, à l’endroit de l’équipe pluridisciplinaire, est source de nombreuses pertes d’informations et donc de dysfonctionnements dans le soin. Le titre de psychothérapeute, donné d’office au médecin, dénonce bien cette confusion des places déterminé par un système politique dysfonctionnant.

Conclusion

Une note encourageante toutefois : le déterminisme du travailleur à se poser sur ses manques et à ne pas porter les manques d’autrui permet progressivement aux systèmes impliqués de se confronter à leurs propres manques et d’avancer. Le salarié épanoui et brillant, sachant gérer son équilibre personnel à l’intérieur de ses différents systèmes d’appartenance, est un excellent modèle d’avancement pour les systèmes périphériques ! Il constitue un petit moteur de progression. Le mimétisme peut prendre certes lentement mais ne dit-on pas qu’un simple battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade à l'autre bout du monde ?

Cet article a été repris et publié sur le site :
http://www.vaincre-les-risques-psychosociaux.fr


vendredi 17 janvier 2014

Les narrations paradoxales et systémiques : une forme d’art-thérapie ?

Adeline Gardinier, psychologue et psychothérapeute dans plusieurs institutions psychiatriques, propose des narrations et des métaphores singulières dans les entretiens menés auprès de ses patients. 


L’art de reformuler « l’histoire de vie » du souffrant, dans une co-construction thérapeutique, constitue la base des échanges et du processus d’avancée des problématiques traitées.

Les outils  d’expression empruntés réfèrent à la vision systémique et analytique de son auteur. D’où s’origine la force et la pertinence de ces récits édifiés à partir du matériel psychique proposé par le souffrant ?
L’individu, en tant qu’élément inclus dans divers systèmes d’appartenance, est approché dans ses symptômes de manière surprenante et créative. La dimension originale ne tient cependant qu’au manque de maîtrise de l’homme sur sa détermination contextuelle et environnementale.

Dans ses recadrages verbaux et imagés, la psychothérapeute veut simplement transmettre la dimension positive du symptôme « fonctionnel », trouvant son sens dans les systèmes dans lesquels il s’exprime. Le souffrant est défini, dans ses troubles, comme cherchant à maintenir l’équilibre fragilisé de ses groupes d’appartenance (internes et externes). Il découle, de ce paradigme central, des narrations non communes de tous les pans de l’existence du malade.

Sur la scène thérapeutique, l’aidant reformule avec constance le vécu conté par le souffrant en utilisant la vision globale et interactionnelle de la systémique. L’aidé s’approprie progressivement ce matériel représentationnel opérant. Il crée ses propres solutions sur ce mode et cette logique de pensée.
L’interprétation systémique est valorisante et novatrice dans la mesure où elle fait de ce personnage « le patient » : le héros sacrificiel de ses groupes d’appartenance. Ainsi, ses comportements hystériques, psychotiques et autres peuvent être un moyen de dévier et de porter toute la tension des siens sur ses frêles épaules. Le bruit des symptômes, au travers de maux somatiques, du délire ou de passage à l’acte du souffrant s’affiche alors comme un signe discréditant. Il détourne les projecteurs d’autres acteurs douloureux de la scène environnante pourtant fort intéressants. Tel patient théâtralise une chute dans les escaliers, tel autre emprunte le langage inaccessible du fou mais, tous ont pour script précis la protection des repères antérieurs collectifs dans des actes insolites. Ceux-ci sont ainsi générés pour court-circuiter l’élan de métamorphose, encore non assumé, du souffrant.

Les troubles sont en effet les révélateurs de cette étrange intrigue contradictoire. Dans le cœur du mélodrame, ils révèlent leur sens paradoxal car ils dénoncent autant l’impossibilité de continuer à condenser sur soi le stress groupal que le désir de rester dans ce rôle sacrificiel central. Quelle farce pour celui dont les maux le tiraillent dans des mouvements opposés ! L’hystérique chute dans les escaliers pour refuser une place relationnelle dysfonctionnelle mais dans une même synchronie, il s’écroule pour disconfirmer, par ses actes débordants, la justesse de ce discours.

L’épouse dépendante de son mari amorce, dans une dynamique inconsciente, des comportements volages pour exprimer un besoin essentiel de se différencier de son compagnon mais dans une même expression elle entrave toute possibilité de légitimation et d’émancipation dans la nature grossière de ses comportements sexualisés.

Le psychothérapeute se présente alors comme le traducteur de cette fourberie dont le malade, personnage principal et ses acolytes, sont les victimes. La dénonciation de cet imbroglio, par un conteur externe de cette scène de vie relationnelle, crée un coup de théâtre opportun au dénouement de l’intrigue. Sa dimension imprévue, ébranlante et ouvrant sur un nouveau scénario constitue les clés pour défiger et libérer les protagonistes des tensions croissantes de cette duperie.

Le soignant est cette figure morale, faisant une brève apparition sur scène, afin de clarifier les rôles de chaque acteur dans une plus grande clairvoyance relationnelle. Le retour du bien–être du souffrant doit, en effet, passer par une nomination des confusions représentationnelles et par une redistribution des places plus équitables. Restituer à tous leur part respective de stress, c’est aider chacun à avoir prise sur ses problématiques car on ne peut élaborer et dénouer que ce qui nous appartient. Reprendre à son compte les responsabilités d’autrui, faire porter nos dysfonctionnements à un tiers sont des processus vains car un nœud interne ne peut se délier qu’au « bon endroit ».

Cette réflexion semble aller de soi mais le théâtre de la vie quotidienne démontre pourtant que l’homme se trompe souvent dans l’attribution des implications de chacun. Les phénomènes de projection, de déni, de clivage et de refoulement participent au biais d’interprétations des situations. Un peu comme les protagonistes d’une comédie semblent ne pas douter des intérêts et des positions de chacun durant toute la trame de l’histoire, le patient et son entourage ne remettent pas en question leurs rôles et leurs non rôles respectifs durant la période de crise traversée. Pourtant, c’est bien la redistribution des places, sur la scène imaginaire ou réelle, qui crée l’impulsion tant attendue. Le coup de théâtre est le simple révélateur du choc vécu par un être humain trop souvent piégé par ses certitudes. Il se perçoit difficilement traversé par diverses influences déformant son regard et pourtant !

Le psychothérapeute provoque, en entretien, cet effet de surprise par un recadrage de l’histoire de son interlocuteur. Il rappelle ainsi à l’homme qu’il est fréquemment prisonnier d’une pensée linéaire et figée. Dans une forme de psychodrame, il invite le consultant à expérimenter et à réfléchir divers jeux relationnels avec son entourage.

L’univers bien établi du consultant, quant à la place de chacun, perd de sa crédibilité. Il suffit qu’il change ses orientations et il découvre alors que les membres de son système ne sont plus autant prévisibles dans leur fonctionnement. Ceux-ci développent de nouvelles défenses, des symptômes, des comportements et des réactions inattendues. Bref, sa nouvelle dynamique engendre des mouvements et des positionnements différents dans son système. Là où les repères restent stables, c’est dans le constat que toutes ces perturbations, par effet domino, ont pour œuvre commune la préservation de l’ancienne organisation groupale.

Le récit systémique désengage des impasses et des peurs du souffrant. Il met en relief  le bruit naturel de l’avancement à l’image des rebondissements assourdissants dans le dénouement d’une intrigue. La révélation d’un complot, de lourds secrets, de trahisons, de quiproquos, de malentendus, de malheureux hasards constitue la chute libératrice de tout un scénario devenu trop pesant et destructurant dans les fictions. Cependant, ce mouvement profitable s’amorce par une intensité émotionnelle et relationnelle contraignante. Le souffrant subit ce même vécu paradoxal dans le cœur de la résolution de ses troubles. Il assiste à une recrudescence de ses maux lors du dénouement de sa problématique. Ce phénomène s’éclaire sous l’angle de la systémique. Les résistances internes du malade et de ses systèmes d’appartenance, à tout changement organisationnel, contribuent à l’accentuation des symptômes.

Dans sa tentative d’individuation et de rééquilibrage du stress groupal, le souffrant met en place les défenses adaptées et opérantes à long terme. Toutefois, dans un premier temps, il attirera sur lui les forces régressives et les pulsions morbides afin d’entraver toute modification des repères anciens de ses systèmes d’appartenance. Un nouveau point homéostasique structurel se mettra lentement en place et estompera, dans la même synchronie, les peurs et les freins de la transformation. Cette narration éclairée de ce paradoxe de progression est essentielle pour que le souffrant ne cède pas aux découragements et qu’il poursuive le chemin douloureux de la guérison. L’art de transformer son regard sur son histoire et sa souffrance, de manière structurante, est une œuvre puissante. La connotation positive des troubles relance la créativité et la narcissisation. Ce sont deux ingrédients essentiels opérant dans le cadre de l’art-thérapie. Ainsi, ne pouvons-nous pas aussi associer ces « narrations systémiques et paradoxales » à une forme d’expression esthétique structurante ?

Les récits miroirs, présentés dans l’ouvrage de l’auteur, constituent également un excellent médiateur de cette vérité constructrice et thérapeutique. Ils représentent, en effet, le récit  systémique de la guérison de certains patients à d’autres souffrants. Les auditeurs puisent dans les solutions originales, trouvés par leurs pairs, la manière d’extraire de cette lecture interactionnelle une forme d’inventivité personnelle.

Ainsi, l’art-thérapie peut s’exprimer dans le potentiel de chaque histoire de souffrants à devenir l’instrument de guérison de l’autre. Le récit du temps de crise est inspirant lorsqu’il prend les attraits d’une « muse systémique » ! Pourrions-nous alors conclure, plus généralement, que les narrations du constructivisme et du constructionnisme, chers aux systémiciens, sont  des formes de thérapies présentant les qualités expressives de l’Art-Thérapie ?

jeudi 2 janvier 2014

Entretien avec Adeline Gardinier

Dans son ouvrage « Aider le patient à sortir de la crise », paru aux Editions De Boeck  (Sciences du Soin/Collection de Marie-Ange Coudray) en Septembre 2013,  Adeline Gardinier présente une méthode psychothérapeutique singulière co-construite dans la cadre de ses échanges cliniques auprès de consultants de Centres Médico-Psychologiques et d’Unité de Proximité. 

Elle est désireuse, dans ce livre, de transmettre toute la pertinence d’une forme de pensée contextuelle et bienveillante introduite dans ses conversations avec les souffrants.

Un intéressé s’est entretenu avec l’auteur le 2 janvier 2014 pour aborder les grands axes de son ouvrage et de son travail psychothérapeutique. Laissons-leur la parole….


Adeline Gardinier, pourriez-vous nous donner un bref aperçu de votre parcours professionnel et des diverses expériences vous ayant mené à ces modalités particulières de soins psychiques auprès de vos patients ?

Mon cursus universitaire est des plus communs. J’ai réalisé mes études de psychologie clinique et de psychopathologie  à la faculté de Sciences Humaines de Reims. L’enseignement théorique et les diverses supervisions et formations accomplies à Paris ont, certes, été source d’un enrichissement signifiant afin de mieux cerner la complexité  du fonctionnement humain. 

Cependant, le savoir structurant que je souhaite faire partager, ne s’est pas déduit  de concepts intellectuels. Il est né  d’une pratique clinique des plus diversifiées mêlant des personnalités, des histoires, des temps, des contextes tous très différents. L’univers rassemblant ces témoins et révélateurs des procédés psychiques constructifs et déconstructifs ont tous pour point commun d’avoir traversé un temps de crise signifiant. 
Durant ce moment d’authenticité vécu, leur fonctionnement défensif a mis en exergue les grands secrets de la logique paradoxale et systémique d’avancement ! 

Malgré des dynamiques internes et des personnalités uniques, ces personnes (rencontrées en hôpital général, dans des foyers maternels, des institutions psychiatriques), se ressemblent toutefois, dans leur manière de se confronter au dénouement réussi d’une problématique !


Les souffrants résoudraient, dans leurs maux et la manière dont ils s’en dégagent, les grandes énigmes du fonctionnement psychique, d’où le sous-titre de votre ouvrage  « le patient est un soignant qui s’ignore »?

Oui, en effet le temps de crise oblige à la résolution de dysfonctionnements prenant de l’ampleur au fil de leur rigidification. Le souffrant ne peut plus user de défenses de colmatage afin de maintenir un édifice fonctionnel fragile. 

Beaucoup d’individus parviennent dans leur existence à éviter la résolution de leurs conflits intérieurs par des mécanismes de déplacement, de projection, de déni, de clivage même si ceux-ci semblent peu adaptés à la situation. Le patient, lui, n’est plus en capacité de se détourner de son problème par diverses techniques d’évitement et de refoulement. 

Généralement, par définition, sa bonne nature le conduit à se confronter non seulement à ses fragilités mais également à porter « le stress » de ses systèmes d’appartenance. De plus, l’accumulation d’évènements de vie nouveaux, accidentels ou naturels, peut presser un mouvement adaptatif et engendrer une difficulté croissante de maintenir des repères défensifs rigides et pathogènes. C’est dans ce moment de vie douloureux mais opportun que j’ai la chance d’échanger avec des patients qui livrent les clés de l’avancement. Ils n’ont d’autres choix que de trouver des solutions à leur mal-être car leur ancien système organisationnel s’est démantelé dans le chaos de leur souffrance. 

Ainsi, depuis 15 ans, c’est avec une grande admiration et une grande empathie que j’observe les consultants dans l’expression laborieuse, paradoxale, systémique de la résolution de nœuds internes. Ainsi, le matériel thérapeutique original proposé à mon interlocuteur lors des séances (les interprétations paradoxales, les récits didactiques, les représentations systémiques) n’est que le fruit opérant  des solutions témoignées par les nombreux consultants rencontrées sur mon chemin de thérapeute.


Vous seriez ainsi une « avertie » des processus de crise, tirant votre savoir « des nombreux souffrants compétents rencontrés ». Vous agiriez en tant que médiatrice d’une vérité structurante créée par des patients soignants et restituée à d’autres patients afin de faciliter leur chemin de création et de guérison ?

Oui, c’est joliment dit et c’est très vrai. Tous les concepts paradoxaux et systémiques, décrits dans mon ouvrage, sont nés des observations exhaustives d’histoires singulières d’hommes en crise. Ces rencontres précieuses ont permis d’extraire les règles et les narrations à respecter dans l’abord et le traitement de toute douleur, qu’elle soit psychique ou physique. 

Ces constats cliniques ont d’ailleurs permis de mettre en relief l’importance de considérer l’homme comme traversé et agi par différents systèmes d’appartenance internes et externes. Sans cette prise en compte essentielle, la logique paradoxale et surprenante de « la désaliénation psychique » ne peut se comprendre.


Pourriez-vous revenir sur ces interprétations paradoxales présentées dans votre ouvrage ?

Il s’agit d’une reformulation surprenante opérée, dans le cadre du suivi thérapeutique, auprès des consultants. Cependant sa dimension inattendue ne tient qu’à l’insuffisante connaissance de l’être humain sur sa nature profonde, sa détermination « contextuelle ». Ainsi, l’ouvrage énonce  des « représentations paradoxales de situations, des notions, de l’évolution, de la distanciation et des émotions» afin d’ouvrir le champ des possibles. Le souffrant est invité à appréhender son histoire sous un angle opposé au sens commun. 

Ce regard particulier tire toutefois sa pertinence et sa justesse de sa nature systémique. Ainsi, le fonctionnement de l’homme ne peut se réfléchir sans considérer les diverses influences internes et externes qui le déterminent. Notre pensée,  très circonscrite et trop souvent linéaire,  est parasitée par l’insuffisante prise en compte de tous les facteurs interagissant et justifiant des comportements, des réactions, des ressentis, des émotions et des symptômes d’un sujet.

Distiller durant les entretiens certaines idées fortes, justes et originales, opère des résonances signifiantes. Si je vous dis :

-« le souffrant n’est pas assez égoïste, La crise est une opportunité afin d’avancer, le symptôme est fonctionnel, le souffrant est fort et endurant, le vrai patient n’est pas celui qui est face au thérapeute, le hasard n’existe pas, il n’y a pas d’avancement sans résistances, la résolution d’une problématique s’amorce par une recrudescence de symptômes, le patient doit avancer lentement durant un temps de crise, le patient doit s’éloigner pour se confronter, un vécu émotionnel désagréable peut être thérapeutique, une force d’avancer naît des événements douloureux, la fusion sépare, la rupture entraine une aliénation, la confrontation permet la libération, le sujet détient le savoir, il n’a ni victime ni coupable dans un problème rencontré…  ».

Ces quelques thèmes inattendus ouvrent d’emblée la réflexion de l’aidant et de l’aidé vers des perspectives et des alternatives nouvelles. La cohérence des représentations proposées imprègne facilement son destinataire lorsqu’il est lui est présenté l’univers circulaire, systémique, global auquel cette vision est associée.


Cette narration systémique et structurante, à laquelle vous voulez familiariser patients et soignants, demande de la part de son auteur, un décodage et une reformulation constante !

Effectivement, c’est là la complexité de cette approche. Elle demande du thérapeute une implication, une concentration et une maîtrise certaine de la logique paradoxale et contextuelle. A chaque lecture trop restrictive des situations, l’aidant doit substituer une vision globale et exhaustive des facteurs interactionnels rentrant en jeu dans le problème rencontré. 
L’art du conteur réside également dans la capacité à emprunter le lexique privilégié des signifiants de son interlocuteur afin de faciliter l’intégration de cette pensée systémique. 

Bien sûr, le soignant a un rôle essentiel dans l’aménagement d’un cadre représentationnel opérant. Il doit s’afficher permanent dans le tissage d’une réflexion systémique juste et à potentiel d’ouverture. Toutefois, il n’est pas plus grand plaisir pour le clinicien que de découvrir les solutions édifiées par le patient à partir de ce nouveau regard nouvellement intégré.


Plus concrètement, d’où tient cette analyse si surprenante, opérante et paradoxale de l’interprétation systémique ?

Le côté surprenant de cette approche réside dans ce qu’elle met en évidence de « la condition du souffrant ».  Là où la pensée linéaire et non exhaustive définirait le malade comme contraignant, irritant, plaintif, égoïste  et négatif, l’approche contextuelle le présente comme trop généreux, sacrificiel, trop fort et endurant dans son énergie à porter les problématiques d’autrui. 

La narration proposée doit l’aider à réaliser la manière dont ses symptômes sont mis au service de l’équilibre antérieur de ses systèmes d’appartenance.  Le focus doit alors être porté sur l’importance de bien cerner les propres responsabilités et nœuds internes du souffrant de ceux d’autrui. Cette distinction est essentielle car il ne peut être élaboré et dénoué que ce qui nous appartient personnellement ! L’aidé doit restituer le stress à chacun de ses détenteurs car ses troubles indiquent le trop plein de tension engendré par la reprise à son compte des dysfonctionnements d’autrui. Pour cela, tout un parcours de différenciation doit s’opérer en lui, ce qui l’amène souvent à s’exclamer « Mais vous me demandez d’être égoïste, je n’y parviendrai jamais ! ». 

Nous sommes loin de l’image péjorative du souffrant dans sa dimension peu utile et froide. La démonstration de la manière dont ses maux participent à la protection inconsciente des siens, l’endurance sacrificielle dont ses troubles peuvent témoigner sont autant de représentations aidantes pour réagir positivement et avancer. En effet, le sujet ne doute plus de sa force et de sa bonne nature. Il ose alors se regarder, s’estimer et se donner afin d’évoluer personnellement. Nous ne pouvons méconnaitre les obstacles rencontrés par celui, dont la mauvaise image intériorisée est source d’actes autopunitifs non contrôlables !

De même, il est essentiel de s’appuyer sur la définition généreuse du malade pour l’encourager à « transmettre » en restituant à autrui ses problématiques. Prendre à son compte les difficultés d’une personne, c’est enlever à celle-ci toute chance de les régler et de ne plus en souffrir. Cette description systémique est ainsi  importante dans la position prise par le souffrant. Le juste équilibre des responsabilités et des tensions dans un groupe participe au bien être de chacun. Cette analyse environnementale doit aider le sujet  à mieux se situer dans ses modalités fonctionnelles propres. 

Pour résumer, cette approche permet de se dégager de bien des mouvements culpabilisants parasitant autant le malade que les siens dans leur dynamique d’avancement.


La puissance illocutionnaire de ces interprétations paradoxales, de ces récits didactiques et en miroir présentés dans votre ouvrage, semblent résider principalement dans un descriptif original  et paradoxal des signes de l’avancement et de la guérison. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Il est dans la nature humaine d’appréhender les  stades de dénouement d’une problématique comme dégressifs dans l’expression des symptômes et des contraintes. Pourtant, il n’en est rien. Selon la logique systémique, l’élaboration d’un nœud interne s’amorce par la recrudescence des troubles.  Ce phénomène s’éclaire par la prise en considération des résistances au changement. 

Lorsque le souffrant bouleverse ses codes fonctionnels, même si le changement répond à une meilleure adaptation,  ce phénomène entraîne un état de déséquilibre  pour les systèmes internes et externes auxquels il se réfère. Les forces homéostasiques de cette ancienne organisation n’auront alors de cesse d’exercer une pression contraignante afin de ramener le maillon perturbateur dans sa dynamique antérieure.  En l’occurrence, ici, le système psychique, physique et environnemental du souffrant se présentera comme l’opposant virulent et bruyant de la transformation accentuant le vécu régressif du patient  dans les premiers temps de  son amélioration.

Lorsque mon interlocuteur saisit cette logique interactive et auto-conservatrice de ses systèmes d’adhésion, la teneur de cette information résonne de façon significative  dans le nouveau regard porté sur sa souffrance. Là où le sujet ne percevait jusqu’alors que les signes symptomatiques de la régression, de l’échec, de l’impasse et de l’insuffisance, il découvre une inflation des troubles synonymes d’amélioration : davantage de bruit, davantage de résistances car plus de tendance à assumer et à provoquer une évolution signifiante ! Le sujet sait désormais que la persistance ou l’aggravation des maux n’est que le reflet d’une adaptation laborieuse à de nouveaux repères. Son état douloureux n’est donc que transitoire. Il perdurera le temps nécessaire à l’extinction du phénomène de déséquilibre interne/externe et à l’établissement d’un nouvel équilibre systémique. Ce regard averti est « absolu » de conséquence. En effet, si nous réfléchissons aux raisons fréquentes de l’enkystement d’une problématique, nous nous apercevons que c’est la méconnaissance de cette règle d’influences opposées  qui en est la cause. 

L’homme met en place instinctivement les bonnes solutions lorsqu’il rencontre un problème. Cependant, très souvent, il ne persévère pas dans leur aménagement et dans  leur consolidation car il est convaincu qu’elles ne sont pas valables. Pourquoi ? Tout simplement, parce que les résistances au changement à l’œuvre le dissuadent  d’emprunter le bon chemin. S’il se sent encore plus mal, c’est pour lui l’expression d’une erreur d’aiguillonnage intérieur et non le révélateur d’une transformation positive auxquels ses systèmes d’appartenance font résistance. D’ailleurs, lorsque j’invite les consultants à se pencher sur les diverses tentatives défensives mises en place durant leur existence, ils s’aperçoivent systématiquement qu’ils avaient expérimenté les bons codes, notamment  les effets d’une plus grande différenciation. Cependant, les conséquences inconfortables immédiates, produites par un mouvement opposé de retour à du familier, avaient découragé ces initiatives salutaires.

La transmission de ce savoir systémique est pour cela non négligeable. Il aide le patient à supporter les contraintes des temps d’avancement car il sait que s’il souffre dorénavant, ce n’est pas en vain et qu’il y aura une fin à sa douleur. Cette vision éclairée est surtout la clé afin de ne pas court-circuiter l’amorce de nouvelles dynamiques défensives pertinentes et désaliénantes à long terme. Dans cette perspective, le symptôme a du sens, il est fonctionnel et parle de la « solution ». Il s’inscrit comme un rébus à décoder en empruntant aux hiéroglyphes de la systémique !


Lorsque vous énoncez que le hasard n’existe pas, vous faites référence à cette logique systémique qui permettrait d’approcher la cohérence d’une histoire singulière, qui ouvrirait sur le sens du symptôme, des accidents, des imprévus, des actes appelés « inconscients » et aussi sur le sens de certains choix relationnels ?

Bien sûr, je ne doute plus de la pertinence du modèle systémique et homéostasique pour expliquer de nombreux phénomènes décrits comme non maitrisables et prévisibles. C’est d’ailleurs l’un des sujets de mon prochain ouvrage. Cela fait trop longtemps que j’observe, en tant que clinicienne, les « aléas systématiques » découlant d’un élan de transformation sur une problématique rigide. 

Lorsque le patient bouscule des codes fonctionnels campés depuis la nuit des temps, les résistances au changement se révèlent de la même ampleur. Elles s’expriment avec force quitte à soumettre le souffrant aux pulsions de mort afin d’éradiquer tout mouvement de transformation violemment rejeté. Ainsi, les accidents et les symptômes ne seraient que l’expression de forces agissantes sur un sujet sommé de préserver sa place à l’identique dans ses systèmes d’appartenance. Ceux-ci, insécurisés, sont plus ou moins phobiques du changement. 

Plus l’organisation est rigide, plus le frein au vent de nouveauté est bruyant, plus l’aléa malheureux a de chance de survenir. Les consultants sont curieusement victimes d’accidents physiques, domestiques, de transport, d’actes manqués handicapants ou de symptômes invasifs à des périodes de vie renvoyant à une tentative de différenciation identitaire et relationnelle signifiante. De même les symptômes, psychiques comme physiques, s’affichent comme moyens d’entrave à l’impulsion nouvelle exprimée par le souffrant dans sa tentative de désengagement d’un cadre relationnel pathogène solidement ancré.  Les maux s’amplifieront et s’atténueront, sur le parcours de la transformation, signant alors dans leur disparition l’intégration d’un nouveau point d’équilibre plus fonctionnel. L’aggravation puis l’atténuation progressive des troubles du souffrant, au fil de l’élaboration de son mal, met en relief ce paradigme systémique universel rencontré dans l’analyse des situations de crise.

Le bruit soudain résonant dans les divers systèmes en présence, lorsque le sujet œuvre à ne plus condenser tout le stress sur lui, ne fait également plus énigme. Ainsi, les troubles de l’entourage succédant à un élan d’évolution chez le patient restent fréquents et prévisibles sous l’angle de la systémique. Chacun reprend à son compte son quota de tension interne.

L’attraction amoureuse, amicale, les rencontres structurantes et destructurantes ne seraient pas non plus le fruit du hasard mais la simple conjugaison de problématiques et d’histoires s’imbriquant, se camouflant, se reflétant. L’autre est choisi dans une dynamique de maintenir ses croyances, ses places et ses rôles dans les divers systèmes d’appartenance le définissant. Ces relations tissées, au fil de la vie, sont ainsi garantes des repères homéostasiques spécifiques définis dans les organisations internes et externes d’un sujet. Les hasards heureux, dans cette dynamique, sont eux-mêmes à questionner sur leur nature imprévisible  dans cette logique de pensée. 

Une de mes consultantes actuellement vit une histoire amoureuse très épanouissante depuis qu’elle s’est désengagée d’une lourde problématique. Elle a troqué celle-ci pour y substituer des croyances sécurisantes. Ce sont ces mêmes schémas internes qu’elle a sensiblement reconnu chez son aimé. Elle est désormais réceptive à ces stimuli positifs  croisés sur son chemin. 

Deuxième exemple, Madame A, engagé avec succès dans un processus d’affirmation, a rencontré à la même période une ancienne collègue lors d’un Séminaire. Celle-ci lui a proposé un partenariat professionnel ambitieux. Sa dynamique d’ouverture et de détermination l’a certainement conduite dans ces lieux d’échanges où elle a rencontré et a attiré l’intérêt d’un Autre, inscrit dans les mêmes dynamiques structurantes ! Les aléas heureux découleraient de notre capacité à cumuler des procédés défensifs adaptés ouvrant le champ  des possibles, tout simplement.


En tous cas, une orientation que la systémique ne peut anticiper, c’est celle du désir, de la force,  de la crainte et de la sagesse d’un sujet à batailler pour exprimer son authenticité d’être!

Oui, c’est cela qui ne peut être défini, l’homme n’est pas prévisible dans sa profonde nature. Que le monde serait triste s’il se référait à des individus bien établis dans leur désir individuel et leur désir collectif ! 

Finalement, c’est l’amour et l’intérêt pour son prochain qui accompagne l’homme dans ses doutes et ses peurs de différenciation et d’évolution.  Comme je le dis dans mon ouvrage, l’homme est bon par nature ! Sa sensibilité d’appartenance peut le rendre certes interdit, meurtri  et contraint par la vie. Cependant, il apparait si sympathique, altruiste et touchant dans ses difficultés à se départir des résonances systémiques. 

Ainsi, sa profondeur et sa teneur collective occultent tout danger d’ennui et d’inerte froideur en ce monde.