jeudi 29 mai 2014

Les états d'agitation | partie 1

L’approche systémique peut permettre de déchiffrer les symptômes d’agitation au-delà de leur aspect bruyant et incontrôlé. Dans cette perspective, ils apparaissent alors bien davantage comme des élans d’individuation contrariés.


Dans une société toujours à la recherche de plus de contrôle et de retenue, quelle place accorder aux états d’agitation ? Quelle que soit la pathologie sous-jacente, ces comportements « inadaptés » se caractérisent par une désinhibition excessive des attitudes, des pensées et du discours. Au-delà de la dimension insécurisante du trouble, la peur n’est pas le seul facteur paralysant l’accès au sens profond des actes. L’époque étouffe les phénomènes bruyants et prône le maintien du calme et de l’ordre. Difficile, dans ce contexte, de proposer une approche pertinente de ces états, qui permettrait d’entrevoir le caractère structurant de la décharge d’excitation. La lecture systémique offre ce regard constructif donnant sens au symptôme et à ses conditions de démantèlement. Elle se centre sur la dynamique relationnelle dysfonctionnelle à l’origine du déséquilibre individuel.

Représentation systémique du trouble

Depuis le début de mon exercice, je constate combien les mouvements régressifs se révèlent souvent précieux. Chaque situation communicationnelle « débordante » met en effet en relief son intention constructrice. Mais une analyse insuffisante du contexte entrave souvent la reconnaissance de la légitimité et du potentiel d’évolution de l’accès « belliqueux ». La pensée systémique offre alors une vision utile et opérante du temps de crise. Elle fait émerger le processus positif qui tente de se dégager d’un mouvement psychomoteur « fracassant ».

L’état d’agitation correspondrait ainsi à la tentative maladroite et fébrile d’un apprenti qui voudrait s’extraire de repères enkystés et inadéquats. Les manifestations de cet état seraient en quelque sorte à la hauteur de la rigidité du contexte pathogène.

L’individu dépend de groupes d’appartenances qui l’influencent, de systèmes qui le définissent dans des rôles et des fonctions particulières. Plus un système est fermé ou traumatisé, moins il s’adapte aux réorganisations internes nécessaires. Lorsque le collectif étouffe les choix identitaires, la pression psychique ne tarde pas à s’exprimer. Le stress provoque alors des actes bruyants, lieux de décharge et d’expression d’une nécessité de changement. Selon la pensée systémique, le symptôme est à la fois appel et résistance au remaniement des codes relationnels d’un individu. La pathologie signe le manque de souplesse du cadre interactionnel dans lequel évolue le sujet, qui ne parvient pas à rester en adhésion avec son système sans sacrifier son individualité. Les sollicitations auto-conservatrices de son groupe d’appartenance et son manque d’affirmation personnelle l’entraînent dans les méandres d’une inadaptation croissante.

L’état d’agitation serait alors l’expression de ce besoin impérieux, de cette tentative d’affranchissement. Dans cette perspective, les angoisses, les troubles psychiques, les troubles du comportement ou les somatisations seraient également les manifestations de cette bataille interne entre les forces d’inertie et celles de transformation vitales. L’aspect théâtral de « la crise de nerf » ou encore du « coup de folie » traduirait, de manière plus manifeste et concentré dans le temps, ce mouvement de décharge d’une tension optimale. La libération explosive d’une pression contextuelle serait alors une phase salvatrice et incontournable.

Les patients expriment souvent cette facette positive de leur état d’agitation démesuré. Mais, dans de nombreuses équipes soignantes, le diagnostic de « crise névrotique ou psychotique » est trop souvent surinvesti. Il souligne alors des déficits et n’apporte aucune information pertinente. En revanche, l’indication systémique d’une décompensation engendrée par un élan de transformation nécessaire, impliqué et coûteux pour le sujet, ouvre le champ des possibles. Le symptôme hystérisé, fou ou incohérent du patient n’est plus ainsi classifié selon ses dimensions manquantes.

La référence à la forme d’agitation intervient très peu dans la manière de réfléchir une prise en charge thérapeutique pertinente. Par contre, la présence et l’intensité du trouble donnent les pistes principales d’une histoire « d’indifférenciation » à investir afin d’aider l’individu. Les « habits expressifs » de la pathologie peuvent alors révéler, dans un second temps, leur singularité sous le primat de ce récit contextuel signifiant.

Quand Sandra s’écroule

Les chutes répétées et intentionnelles de Sandra, 42 ans, hospitalisée pour dépression majeure, engendrent un sentiment d’impuissance grandissant dans l’équipe. Les soignants identifient les symptômes de la patiente dans les registres du manque et de l’infantilisation. En les abordant sous l’angle relationnel, l’énergie positive associée à ce qui peut être compris comme une forme de rébellion libère chacun d’une paralysie d’empathie et de soins. Recadré dans son sens systémique, le comportement abusif de Sandra met en relief sa colère et sa saturation psychique face à une famille irrespectueuse de ses choix. En effet, les comportements théâtraux de cette femme font suite à la disqualification, par le grand-père, de son autorité légitime sur son fils. Sandra a osé poser des limites plus solides dans sa relation à son enfant et trouvé le courage de mettre à la porte son fils chéri irresponsable et insultant.

Ce processus laborieux d’affirmation a été éprouvant mais les efforts de Sandra n’ont pas été reconnus par sa famille, au contraire. Ce nouveau positionnement, si fragilisant pour elle, a ainsi été invalidé par un système familial conservateur. L’acte d’écroulement hystérisé marque ainsi de profonds remaniements internes chez la jeune femme. Il indique son impossibilité d’adhérer à des schémas relationnels antérieurs dépersonnalisants. Dans un mouvement synchronique et paradoxal, ses chutes montrent aussi une tendance antagoniste à vouloir se réfugier dans les anciens codes relationnels familiaux. En effet, le galvaudage de son élan d’affirmation en tant que mère s’incarne dramatiquement dans ce laisser-tomber incohérent.

Cette forme d’expression désorganisée renvoie aussi à un événement traumatique de l’histoire systémique. Un oncle s’est pendu dans les escaliers. Le trouble souligne ainsi une zone sensible d’indifférenciation à travailler. Toutefois, seule l’investigation exhaustive de l’histoire systémique permet d’extraire ces données essentielles. L’analyse sémiologique ne trouve sa pertinence que si elle est mise en lien avec l’histoire singulière et contextuelle du sujet. Celle-ci révèle la dimension symbolique du symptôme.

La suite la semaine prochaine (partie 2)...

samedi 10 mai 2014

La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques

Retrouvez mon article : « La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques » dans la revue « le journal des psychologues (Adeline Gardinier/Mai 2014).


« En quinze ans, l’échange thérapeutique avec des personnes en situation de crise s’est révélé d’une grande richesse. Il est né de ces rencontres singulières et authentiques une technique d’intervention active pertinente dans ses effets cliniques. « L’interprétation paradoxale » se présente ainsi comme un outil de lecture opérant de l’histoire du souffrant. Les regards systémiques, paradoxaux et analytiques se combinent dans un mouvement synchronique et intégratif afin d’offrir une narration constructive de la problématique rencontrée. La nature de ces entretiens est modelée par le raisonnement systémique. En effet, chaque pan de l’histoire du sujet est réfléchi selon la place que celui-ci tient dans ses systèmes (ou groupes d’appartenances). Les récits proposés au consultant sont alors une restitution du sens à donner à son vécu et à ses symptômes sous l’angle de cette approche contextuelle.»


L’article met en relief une approche constructiviste singulière trouvant sa force et sa résonance dans une logique systémique et paradoxale Quelques techniques d’interventions sont présentées : solidité du cadre, connotation positive du symptôme, position basse du thérapeute, curiosité du détail, humour, provocation, régressions nécessaires, recadrages paradoxaux, récits didactiques, récits miroirs, travail sur les ressources et les compétences et travail de différenciation. La chronique reprend ainsi les idées principales de mon livre « Aider le patient à sortir de la crise » (Editions de Boeck, 2013).

jeudi 1 mai 2014

Crise de nerfs et autres débordements



Retrouvez-moi dans la Revue Santé Mentale d’Avril 2014 : « Crise de nerfs et autres débordements » Adeline Gardinier-Salesse.


Dans cet article, j’invite à réfléchir l’état d’agitation dans sa dimension structurante et individualisante. Il signe le laborieux mais nécessaire élan psychique du sujet afin de se désengager d’une problématique systémique rigide. Diverses vignettes cliniques sont ainsi présentées dans la chronique afin de révéler la nature non péjorative mais au contraire désaliénante du trouble, malgré son caractère bruyant et dangereux.

Un extrait cinématographique met particulièrement bien en relief cette réalité paradoxale. Dans « femme sous influence » de John Cassavetes, le personnage principal Marybel présente des états d’agitation et d’incohérence suite au double message contradictoire de son système familial. Elle est régulièrement invitée à être elle–même mais dès qu’elle énonce son authenticité, elle déchaîne des mouvements de critiques massifs de son entourage. Elle se trouve piégée dans une impossibilité à redéfinir ses fonctions dans son groupe.

Lorsqu’elle tente une échappée de son rôle de « folle », son groupe d’appartenance la somme implicitement de reprendre sa place stigmatisée. Elle est prise dans une demande intenable de changer sans changer. Elle s’éloigne alors des siens pour s’isoler dans le salon. Elle monte sur la table et s’implique dans une gestuelle énigmatique et désintriquée. Elle formule des onomatopées et manifeste des mimiques défensives.

Bref, cette conduite désorganisée rappelle le besoin de rupture et de blocage de la communication avec des proches perçus comme incernables et insécurisants. Dans cette dynamique d’agitation, elle répond également à sa mission systémique et mythique de ne pas déroger à ses fonctions pathologiques à l’intérieur de la famille.

Il est intéressant de noter la manière dont elle rétablit un comportement adapté suite au rituel d’endormissement auprès de ses enfants. L’acceptation inconditionnelle et l’amour temoignés par les petits auprès de leur mère aide celle-ci à retrouver une attitude cohérente. Elle n’est en fait pas soumise aux résistances de ses progénitures quand elle s’affiche dans son authenticité et son désir de sortir d’une place de « timbrée » assignée par sa belle-famille. Elle peut alors se dégager d’un stress intenable. Elle avait, en fait, décompensé suite à la tentative vaine et répétée d’être spontanée avec ses hôtes lors de sa sortie d’hospitalisation.

Le film se termine sur la confusion de cette femme à s’interroger sur ce qui lui « a fait perdre la tête ». Elle est loin d’être consciente de son fonctionnement symptomatique sacrificiel au service de son groupe !