lundi 23 juin 2014

La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques (Partie 1)


Retrouvez mon article : « La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques » dans la revue « le journal des psychologues (Adeline Gardinier/Mai 2014).


Depuis quinze ans, l’échange thérapeutique avec des personnes en situation de crise se révèle d’une grande richesse. Il est né de ces rencontres singulières et authentiques une technique d’intervention active pertinente dans ses effets cliniques. « L’interprétation paradoxale » se présente ainsi comme un outil de lecture opérant de l’histoire du souffrant. Les regards systémiques, paradoxaux et analytiques se combinent dans un mouvement synchronique et intégratif afin d’offrir une narration constructive de la problématique rencontrée. La nature de ces rencontres est complètement modelée par le raisonnement systémique. En effet, chaque pan de l’histoire du sujet est réfléchi selon la place que celui-ci tient dans ses systèmes. Les récits proposés au consultant sont alors une restitution du sens à donner à son vécu et à ses symptômes sous l’angle de cette approche contextuelle.

Le sens du symptôme dans un système
Schématiquement, un système est un ensemble d’éléments en interaction ayant un but commun. Un système ouvert échange de l’information et de l’énergie avec l’extérieur. Il communique donc avec d’autres systèmes. Ainsi, l’homme, la famille ou un groupe peuvent être considérés comme
des systèmes ouverts en interdépendance avec d’autres organisations, elles-mêmes, structurées selon des codes précis. Un système ouvert est donc soumis aux influences externes et internes dans son fonctionnement. Il réagit aux perturbations diverses. Selon ses propriétés homèostasiques  (d’auto-conservation), cette unité systémique a tendance à rechercher son point d’équilibre antérieur lorsqu’elle est mise en branle par l’introduction de stimuli nouveaux en son sein.
Toutefois, un système fonctionnel et souple est un système capable de réorientation progressive, vers de nouveaux repères, lorsque des mouvements périphériques le nécessitent. Il doit être capable de rétablir son équilibre, de modifier sa structure en fonction des phénomènes qui l’influencent tout en maintenant son identité dans des objectifs communs.
Dans la pensée systémique, le symptôme apparait dans des systèmes rigides. Ces organisations sont caractérisées par leur incapacité à intégrer les ajustements nécessaires à l’introduction des nouvelles données l’impactant. Elles maintiennent les mêmes codes, le même point d’équilibre quel que soit les changements bousculant son fonctionnement.
Le trouble du souffrant est alors appréhendé, dans une double valence contradictoire. Il est, à la fois, un appel au changement mais également, dans un mouvement opposé, une résistance au changement. Ce paradoxe met en lumière toute la complexité  du sens à donner à la souffrance à chaque temps de l’histoire du patient. Le symptôme doit être systématiquement décodé dans ses deux dimensions antagonistes afin de comprendre la manière dont il trahit le milieu rigide dans lequel il s’inscrit.
Par exemple, la chute hystérique d’une adolescence dans les escaliers peut traduire le besoin signifiant d’émancipation face à une famille close sur elle-même ( le symptôme dans une fonction d’appel au changement). Dans un même mouvement, ce passage à l’acte met en relief un comportement désadapté de la jeune fille la stigmatisant et la freinant dans ses possibilités d’autonomisation (le symptôme une fonction de régulateur homéostasique des anciens repères du système).

La place du patient dans un système
La souffrance du patient est donc le résultat d’une tension interne signifiante car condensant les stress de son système. Le sujet, dans ses symptômes, porte les dysfonctionnements des siens. En raison de peurs refoulés, lointaines voire intergénérationnels, son groupe a établi des représentations figées sur la manière dont il doit fonctionner. Ces croyances inébranlables sont donc destinées à se protéger de traumatismes anciens afin de ne pas les revivre.
Par exemple, une famille, traversée au fil des générations par des événements à connotation culpabilisante et honteuse, peut développer un mythe de la perfection et du faire paraitre pour se désaliéner de ce passé douloureux.
Il va construire des valeurs rigides à par de  cette image symbolique qui le définit. Ces repères identitaires sont donc handicapants car ils ne sont pas malléables. Ils ne se modulent pas en fonction des divers mouvements vécus par le système. Ainsi, les résonances émotionnelles, trace d’un passé indicible, paralyse le groupe dans ses possibilités d’ajustement. Elles entravent toute modification pertinente des codes sur lesquels repose l’identité du système. Cette incapacité à faire évoluer sa définition, en fonction des influences qui la traversent, engendrent un cumul des tensions en son sein. En effet, les inadaptations croissantes sont sources d’une mobilisation d’énergies coûteuses afin de les camoufler ou d’assumer leurs conséquences.
Le patient désigné est le membre présentant les fonctions de réceptacle de ce stress d’inadaptation groupal. Il présente les attributs de l’implication relationnelle excessive et de la captation entière des émotions frustrantes externes.  Si le symptôme trahit cette générosité à porter les rigidités d’autrui, il s’agit alors de redistribuer les responsabilités à l’intérieur du système.
Par exemple, l’enfant développant des symptômes peut, de cette manière, éloigner ses parents d’un conflit conjugal naissant. Il les distrait de leurs désaccords en concentrant leurs attentions sur ses douleurs. Le stress est condensé sur ses maux et non plus à l’endroit des dysfonctionnements du couple.
Le patient est ainsi le membre le moins différencié du groupe. Rappelons que plus une personne est différenciée, plus elle est capable d’être elle-même tout en restant engagé dans ses relations proches. Le souffrant sacrifie ses choix personnels afin de répondre à un but identitaire collectif. Il est celui qui dispose de la moins grande autonomie émotionnelle et psychique puisque sa principale fonction est de camoufler les fragilités de ses proches.

Guérir dans une désaliénation de son système
Dans la logique systémique, l’amélioration des troubles doit passer par un désengagement du patient de son rôle sacrificiel. Il doit acquérir une délimitation suffisante de son espace personnel moins perméable aux tensions de son système. Ce remaniement de sa place, au sein de son groupe, nécessite alors qu’il soit capable de discerner ses propres manques de ceux de ses proches. La différenciation de soi implique, en effet, le traitement adapté des situations rencontrées sans parasitage des émotions et des dysfonctionnements externes. Le patient peut seulement dénouer les conflits lui appartenant. Il doit ainsi circonscrire ses fragilités et les élaborer. Il est également essentiel qu’il repère et restitue aux membres de son système leurs failles respectives. Cette clarification des rôles et des responsabilités, dans l’organisation groupale, permet que les problématiques soient réglées au bon endroit. La confusion des attributions  de place conduit sinon à une inadaptation croissante au sein de l’unité. Si le souffrant ne reconnait pas ses incomplétudes, il les projette ailleurs et il ne les élabore jamais. S’il prend à son compte les problèmes d’autrui, il entrave la nécessaire confrontation du véritable impliqué avec ce qui lui appartient. Il empêche alors la résolution d’un manque ne pouvant être comblé que par la personne concernée. L’approche systémique met ainsi en relief l’importance d’une répartition cohérente des énergies au sein du système. Le patient, dans un travail thérapeutique, s’applique à déployer ses forces évolutives à l’endroit de ses insuffisances et il veille à ne pas les concentrer ailleurs. Chaque membre du groupe doit mobiliser ses propres dépenses énergétiques afin de se défaire d’inadaptation personnelle.

La redistribution opérante du stress, au sein du système, oblige à une remise en mouvement adaptative. Le patient est dégagé d’une surcharge anxiogène et donc des symptômes la révélant. Bien sûr, l’intégration de cette logique spatiale systémique doit être clairement explicité au souffrant afin qu’il abandonne ses fonctions de condensateur de stress. Il faut jouer sur sa grande générosité et sensibilité pour lui faire accepter que le bien-être, des siens et de lui-même, passe par une meilleure différenciation de chacun. La gestion des tensions doit se dérouler au bon endroit. Elle implique donc du souffrant une non intervention sur différents registres relationnels. Elle oblige à un apprentissage de fonctions moins enchevêtrées au groupe d’appartenance. Le souffrant est confrontée à ses peurs de changement mais également à celles de son système. Il a cette double mission de maitrise émotionnelle. A savoir, il doit dépasser ses phobies et il doit témoigner à son système la permanence de son attachement affectif. Cette stabilité relationnelle est difficile face aux attaques des siens pour entraver le processus de transformation qu’il a induit laborieusement. Cependant, il est important d’aider le consultant à maintenir le lien avec son système pour contenir les angoisses d’éclatement identitaire groupale. Celles-ci sont particulièrement intenses depuis l’amorce d’une dynamique nouvelle chez le souffrant. La réassurance dans une cohésion préservée, malgré les nouvelles données entrantes, permettra à l’ensemble des membres d’accepter plus rapidement la restructuration de leur système. 

La suite la semaine prochaine (partie 2) ....

mardi 17 juin 2014

Interview dans la revue du Cercle Psy

« Dans une perspective systémique, le patient porte le stress de son groupe, tout en le niant. C’est une position sacrificielle, dont il faut le désengager progressivement », recommande la psychologue clinicienne Adeline Gardinier, dans son ouvrage Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique. Le patient est un soignant qui s’ignore (De Boeck, 2013).

Prescrire le symptôme pour mieux s’en débarrasser lui semble une démarche parfois nécessaire, mais insuffisante sans un long travail pédagogique. « Pour moi, le symptôme est le début de l’avancement : chaque patient a instinctivement tenté de mettre en place la bonne solution, mais s’est arrêté, parce que le symptôme ou le discours des soignants l’ont déstabilisé. » Il faut donc expliquer en quoi le symptôme n’est pas mauvais en soi, le valoriser et le décrypter. « Si on n’explique pas en quoi le symptôme peut l’aider, le sujet peut ne pas se sentir entendu. »

Adeline Gardinier travaille donc avec ses patients à ce qu’elle appelle un « récit paradoxal », c’est-à-dire un long travail d’élaboration qui va de pair avec l’instauration du lien thérapeutique. « On propose au patient une représentation de la systémique qu’il puisse comprendre. Les deux dimensions constructrices du trouble lui sont présentées. D’une part, le symptôme permettrait la construction d’interactions plus adaptées. D’autre part, il éviterait des changements trop rapides et donc trop chaotiques. »

La compréhension et l’acceptation du symptôme entraînent, selon Adeline Gardinier, sa recrudescence provisoire, et donc une première phase d’aggravation que les soignants doivent contenir. C’est ce nouveau mode d’expression du symptôme qui doit paradoxalement aboutir à l’amélioration du patient.

jeudi 12 juin 2014

Les états d'agitation | partie 3











Cet article est la suite de la 2e partie publiée le 5 juin 2014 :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/06/les-etats-dagitation-partie-2.html


Double langage dans le soin

Lorsqu’un patient hospitalisé n’est pas entendu dans la dimension réparatrice de ses conduites excessives, il risque de se sentir bafoué et freiné dans l’expression de son identité personnelle. La peur qu’il provoque chez les soignants, engendrée par la dimension non encore maîtrisée de son essai d’individuation, peut créer en lui une révolte interne très bruyante.

Trop souvent, de nouveaux débordements sont provoqués, de façon non intentionnelle, par les conduites des soignants. La forte répression et dépréciation de ces élans d’émancipation provoquent un grand stress entre soignant et soigné. Le malade se voit court-circuité brutalement dans un mouvement psychique coûteux. Il est critiqué là où il est admirable. Il ose enfin défier ses peurs d’autonomisation par le biais d’un cadre neutre et thérapeutique mais il est dissuadé et jugé sévèrement par ces mêmes personnes qui l’ont pourtant encouragé auparavant à se lancer dans ce défi méritant ! Le soignant a engagé son patient dans un double lien : différencie-toi sans te différencier…

Zoé et le sentiment d’injustice

Zoé, 49 ans, a été hospitalisée à de nombreuses reprises pour recrudescence d’angoisses et d’idées noires. Depuis plus de trente ans, elle entretient une sorte de relation sadomasochiste avec son ex-conjoint, qui l’enferme dans une position indifférenciée très dangereuse. Lors de ses séjours, elle exprime son incapacité à énoncer ses frustrations et ses colères. Elle craint des conséquences catastrophiques si elle ose parler de son ressenti. Zoé a expérimenté, dans cette union conjugale pathogène, les résonances dangereuses de l’expression de soi. Ainsi, lorsque qu’elle commence à s’affirmer, au fil d’hospitalisations renarcissisantes, le caractère encore grossier de la démarche attire les plus vives réactions de l’équipe. Zoé est dans des provocations, des refus, des comportements volages, des brusqueries verbales, des sourires ironiques et des oppositions passives irritantes. Ces excès traduisent ses propres résistances à changer. Indirectement, elle teste également le cadre thérapeutique. Pourra-t-il lui démontrer qu’elle est vraiment autorisée à moduler ses rôles et fonctions dans ses divers systèmes d’appartenance ?

Lors d’un entretien avec le psychiatre, Zoé fait une crise de nerfs impressionnante. De lourds sanglots et des raclements aigus l’empêchent de parler. À distance, cette réaction s’explique. Le médecin a demandé à ce que Zoé souffle dans un éthylotest à chaque retour de ses sorties. Cette prescription a été posée suite à de nombreuses irritations des soignants face à ses comportements croissants de désinvolture et d’agressivité. Zoé a confié que cette procédure lui rappelait étrangement l’injustice, l’insécurité et la trahison vécues dans sa relation de couple. Son corps bruyant mimait la détresse à être entravée dans une légitimité d’expression. Son état d’agitation traduisait l’avortement d’un mouvement laborieux d’autonomisation. La crise était née d’une tension à laquelle s’était surajoutée celle provoquée par l’autorité illégitime du médecin. Sa dynamique évolutive avait été court-circuitée brutalement.

La contenance des pulsions hostiles ne doit ainsi pas être confondue avec leur répression. Cet amalgame conduit le patient dans conflits internes qui découlent des propres dysfonctionnements des soignants. Par ailleurs, l’ancien compagnon de Zoé était, de plus, gendarme ! L’équipe a reproduit, involontairement, le message sadique du mari agresseur : le non droit de choisir sa place dans un système et le devoir de répondre à des ordres groupaux arbitraires.

Crise d’adolescence ?

La période charnière entre l’enfance et l’adolescence est bien sûr un temps de remaniement essentiel des rôles et des fonctions dans le système premier. Il n’est donc pas rare de constater des troubles comportementaux impressionnants chez des jeunes dont le groupe d’appartenance est rigidifié dans des codes fonctionnels précis. La tentative de différenciation naturelle de l’être en devenir est alors source de nombreux états chaotiques.

Léa dans le flou thérapeutique

À 17 ans, Léa est empêtrée dans un fonctionnement limite depuis plus de deux ans et elle entame un travail psychothérapeutique. Les automutilations, les passages à l’acte auto et hétéro agressifs sont réguliers. Ils s’accentuent et l’adolescente se réfugie de plus en plus dans un fonctionnement psychotique. Lors des hospitalisations, des crises anxieuses et agressives se déclarent brutalement. Cependant, si on se penche sur leur origine, les indices d’une entrave thérapeutique au processus d’individuation apparaissent systématiquement. Léa revit avec les soignants la confusion du discours contradictoire de sa famille : autonomise-toi sans t’autonomiser ! D’un côté, l’équipe lui tient un discours rassurant de contenance et d’encouragement à l’émancipation.

D’un autre coté, les actes cliniques traduisent une dynamique contraire. L’insuffisante prise en compte du contexte familial, l’attitude défensive infantilisante des soignants, le renforcement involontaire du discours enfermant des parents par l’équipe donnent ainsi lieu à de nombreuses situations paradoxales. Léa est responsabilisée dans ses décisions personnelles mais dans un même mouvement, des consignes médicales rigides lui sont administrées. Elle est régulièrement assurée du soutien de l’équipe dans sa démarche d’émancipation mais brutalement un ordre de sortie définitif par le médecin est posé sans justification et sans la consulter. Léa réagit à ce flou thérapeutique par l’expression d’une tension intenable et d’une décharge dans des passages à l’acte. Que d’énergies frustrées à être systématiquement rattrapée dans ses élans coûteux d’avancement !

L’adolescence est ainsi une des étapes où un besoin signifiant d’émancipation peut faire éclater, dans des attitudes théâtrales, un modèle de fonctionnement systémique enkysté. Toutefois d’autres événements accidentels ou du cycle de la vie sont susceptibles de venir dénoncer et débrider un processus d’individuation insuffisant. Le comportement désorganisé signe alors la frustration sévère d’une personne à être compromise, par les siens ou le monde soignant, dans un élan personnel méritant.

En conclusion

Dans certains contextes, des débordements psychomoteurs, des passages à l’acte paraissent ainsi liés à un processus interne épuisant et positif, frustré dans son ébauche. La perspective systémique permet d’éclairer des réactions secondaires aux traitements, des décompensations bruyantes. En effet, l’écho paralysant de la chimie sur l’émergence d’un processus psychique débridé parasite le mouvement thérapeutique en cours. L’antalgie médicamenteuse frustre une élaboration structurante et délicate enfin mise en marche. La détente organique est en effet redoutée à un moment de haute vigilance psychique !

Entre relâchement important du corps et pression extrême de l’esprit, l’agitation sollicite une décharge de tension née de ces deux dynamiques opposées. Dans cette perspective, les états d’excitation sont un bon indicateur du problème et des solutions à mettre en œuvre. Ces symptômes pointent non pas les incohérences du sujet mais plutôt celles des systèmes extérieurs. Paradoxalement, ces comportements désadaptés mettent en relief une inversion des rôles où le patient est un soignant qui s’ignore et est ignoré par ses pairs dans sa fonction auto-curative. Dans ses débordements, il semble nous crier, de manière désespérée, une vérité thérapeutique. Ne nous transmet-il pas, avec frustration, un paradoxe contextuel : la réalité déstructurante n’est pas la mienne mais celle d’autrui. Le monde extérieur lui renvoie des messages contradictoires dans une confusion à saisir les dynamiques systémiques l’environnant ! La personne agitée est alors victime de sa trop grande lucidité retrouvée et du trop grand aveuglement de ses systèmes d’appartenance.

Pour relire la 1ère partie de cet article :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/05/les-etats-dagitation-partie-1.html

Pour relire la 2e partie de cet article :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/06/les-etats-dagitation-partie-2.html



jeudi 5 juin 2014

Les états d'agitation | partie 2


Cet article est la suite de la 1ère partie publiée le 29 mai 2014 :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/05/les-etats-dagitation-partie-1.html


La rigidité du contexte

Ainsi, l’intensité du dérapage psychomoteur serait associée au degré de rigidité des fonctions et des rôles dont la personne tente de se désaliéner. Mais chaque tentative pour remanier les places rigides au sein du groupe créerait de violentes résistances internes chez le sujet, accentuées par l’opposition des proches. Le principe homéostasique de tout système rigide, orienté vers le maintien invariable des codes de fonctionnement, expliquerait ainsi la consistance du symptôme régulateur.

L’ampleur de l’excitation traduirait la virulence des forces d’inertie pour entraver cette réorganisation fonctionnelle et signerait, dans un mouvement opposé, l’incapacité à continuer à adhérer aux repères systémiques d’antan. Dans cette logique, certains passages à l’acte surviendraient dans un moment de révolte et de désir d’individuation signifiant chez une personne.

Christophe et le mythe de la perfection

La vie de Christophe, 67 ans, a été traversée d’épisodes dépressifs chroniques. Sa pathologie dévoile une incapacité à moduler, avec souplesse, ses choix dans ses systèmes d’appartenance. Il s’est rigidifié dans des croyances inébranlables dictant ses conduites et ne tenant aucun compte du contexte. Au fil de son parcours, ses défenses ne parviennent plus à pallier les conséquences désastreuses d’adaptations non faites. Christophe provient d’une famille obnubilée par un « mythe de perfection », qui a contrôlé, dans sa prégnance, tous les actes inadaptés de son histoire. Christophe a ainsi épousé une femme qui partage ses représentations figées. Mais une grave crise personnelle l’oblige à réorganiser ses relations à son environnement. Il apprend à construire des images légitimes, positives, acceptées de la nature défaillante de l’homme. Il ne fuit plus ses insuffisances ni celles d’autrui et les reconnaît.

Cette nouvelle dynamique le soumet non seulement à ses résistances internes mais aussi à celles de son système embourbé dans les mêmes codes d’évitement et de contrôle. Lors d’un repas familial, il souligne l’obligation de paraître et le manque de spontanéité de leurs interactions. Les réactions stigmatisantes de son entourage le font alors décompenser. Son incapacité à bousculer dans l’urgence les règles systémiques oppressantes réveille un état de détresse et d’impatience intenables. Dans un discours logorrhéique, il montre sa hâte et son irritabilité à vouloir transformer son système. De même, ses propres résistances internes au changement se greffent dans la manifestation d’une agressivité, d’une errance et d’une sorte de coup de folie. Son précipité retrait physique et psychique marque une fuite déstructurée non pas de sa famille mais des valeurs étouffantes de celle-ci.

L’état d’agitation, dans son versant excessif et incontrôlé, révèle un apprentissage sous-jacent difficile. En effet, tout symptôme débordant met en relief la tentative de démantèlement de repères rigides pour de nouvelles données. Cette intégration complexe ne peut alors s’opérer, dans un premier temps, que de manière grossière. Plus l’intériorisation du processus est difficile, plus la personne manifeste des résistances par des conduites disproportionnées. Ainsi, les troubles du comportement observés sont l’expression d’une amorce de différenciation non encore contrôlée. Les bases rudimentaires de l’autonomisation psychique se traduisent alors par un excès d’égocentrisme et d’incivilité. Dans cette perspective, l’état d’agitation est alors une libération ponctuelle d’une identité trop longtemps tue par sacrifice groupal.

La « paranoïa » de François

Ni paranoïaque, ni antisocial, François, 52 ans, a pourtant eu un comportement hétéro-agressif vis-à-vis de sa compagne et la fille de cette dernière. Cet homme mène tout d’abord pendant de longues années une existence tranquille et sans problématique relationnelle particulière. Cependant, la rencontre avec sa deuxième compagne l’engage dans des conduites incontrôlables. Après 10 ans d’une union conjugale apparemment sereine, François fustige sa compagne et sa belle-fille des pires insultes et les menace d’un couteau. Cette décompensation soudaine a lieu alors que sa compagne et sa belle fille sont allées ensemble au restaurant.

À l’hôpital, François est rapidement étiqueté « personnalité paranoïaque et dépendante ». Pourtant, l’analyse du système familial montre un mouvement furtif d’émancipation de codes systémiques intenables. Depuis son union, François doit en effet respecter une fonction bien établie dans la famille et en particulier accepter la relation symbiotique entre sa compagne et sa belle-fille, ce qui implique le renoncement à un espace d’intimité conjugale. Son attachement trop fusionnel, dans ce lien amoureux, l’a conduit à taire ses choix personnels pour se soumettre à des règles maritales contraignantes.

Par ses actes inadaptés, François a finalement exprimé la rébellion saine d’un homme qui aspire à se désengager d’une position trop figée et dépersonnalisante. Ce soir-là, il a été contraint de dîner seul tandis que la mère, la fille et le père de celle-ci étaient ensemble au restaurant. À leur retour, François est rentré dans une fureur hystérique et dangereuse. Cette affirmation tardive, nouvelle et culpabilisée a ainsi pris les apparats du drame illégitime car elle s’introduisait comme nouvelle donnée dérangeante dans un paysage établi. Le caractère agressif du mouvement d’affranchissement a alors dénoncé sa trop longue retenue et sa nature encore non assumée dans l’excès de son expression.

Un sujet qui montre des réactions disproportionnées met ainsi en évidence son manque de différenciation par rapport à son système premier. Il exprime alors, excessivement, des choix individuels trop gravement censurés dans le système originaire. Par exemple, une personne hyper responsabilisée dans son système primaire régresse fortement dans les divers espaces où elle peut s’exprimer plus librement. Le non-reconnu devient exigeant et capricieux, le carencé affectif extrêmement étouffant. Le trop passif se fait persécuteur.

La suite la semaine prochaine (partie 3)...

Pour relire la première partie de cet article :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/05/les-etats-dagitation-partie-1.html