lundi 24 novembre 2014

La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 1/3



Introduction

La pensée systémique a pour ambition d’approcher les différents champs d’influences déterminant l’individu dans son fonctionnement. Ce regard exhaustif sur l’histoire du sujet garantit un confort éthique indéniable. Il évite les biais de la déformation,  de l’injustice et de la confusion dans l’appréhension d’une situation fragilisante. La bientraitance passe, selon moi, par cette approche globale des systèmes. Celle-ci  permet, en effet,  une reconnaissance et une compréhension « bienveillante » des manques contraignants vécus par une personne.

Les systèmes sont des ensembles d’éléments en interaction formant une unité et œuvrant à un but commun. La famille, le corps ou le groupe sont des  sous-systèmes et des systèmes dans lesquels l’individu est inclus.  Leur fonctionnement impacte  les réactions de celui-ci. Ainsi, la prise en compte de ces facteurs dans l’histoire d’une personne amène à considérer ses fragilités sous un angle singulier.

Selon les propriétés homéostasiques, la difficulté survient à une période de déséquilibre systémique. Il indique un appel au changement mais aussi, dans un même mouvement, des résistantes signifiantes à ces changements. Ainsi, les diverses propriétés d’un système attribue au symptôme une place fonctionnelle. Le trouble est défini comme un besoin de changement dans un système rigide et en déséquilibre. Il traduit également des résistances signifiantes à ces changements. Dans ce cadre contextuel, le trouble perd sa dimension illogique pour révéler tout son sens.

L’individu puise dans cette lecture des pistes de réflexion sur la manière pertinente de traiter ses fragilités. Cette approche met en relief la nécessité d’un partenariat étroit entre l’aidant et l’aidé. Le consultant détient, en effet, les solutions au problème dans l’histoire de son parcours de vie et dans le récit de ses manques. Il est le seul à avoir les informations pertinentes permettant de comprendre l’apparition, l’évolution et les possibilités d’extinction des troubles. En effet, les jeux interactionnels du souffrant avec ces différents groupes d’appartenance permettent de repérer la manière dont le stress de ses systèmes se condense sur lui. Le trouble physique ou psychique s’inscrit alors comme un signal d’alarme traduisant la nécessité d’une meilleure redistribution des tensions, trop condensées sur le souffrant et pas assez sur son groupe.

Le handicap est donc contraignant mais il est aussi utile sous l’angle de la systémique. De façon paradoxale le symptôme permet à long terme un réajustement plus adapté des fonctions du souffrant dans ses groupes d’appartenance. Sa dimension résistante permet, en effet, d’assurer un changement très progressif. La brutalité de la nouveauté, entraînerait autrement des pulsions régressives et hostiles fort handicapantes.

Le chemin de l’avancement reste toutefois dangereux car les changements signifiants engendrés par l’apparition de la  pathologie peuvent créer, transitoirement et au tout début, une tension optimale attisant des pulsions morbides et mortelles  L’assimilation de la contrainte pathologique peut engendrer un tel stress ponctuel que les fonctions d’ajustement progressives et positives, rendues possible par le symptôme, n’ont pas le temps de s’exprimer immédiatement dans leur valeurs salvatrices.

Les grandes lignes systémiques de la bientraitance

Dans ce cadre d’une observation systémique, l’accompagnant a une grille de lecture pertinente afin d’étayer la personne en difficultés. En effet, cette dynamique systémique permet de dégager des principes essentiels dans l’approche d’une posture de bientraitance:

-Le symptôme est fonctionnel et il survient à un moment de nécessaires mais de difficiles réaménagements de la place du souffrant dans ses systèmes.
- La résolution du symptôme passe par sa recrudescence dans les débuts du traitement (sous l’effet des résistances au changement).
- Le traitement du symptôme ne doit pas être invasif car une caractéristique essentielle du symptôme est d’être une phobie du changement.

Ses repères systémiques mettent en relief l’importance d’un partenariat étroit entre l’aidant et l’aidé afin de démanteler les résistances symptomatiques. L’information pertinente est détenue par le souffrant. Lui seul sait où cela résiste en lui. L’écoute attentive de l’accompagnant permet de circonscrire la zone phobique et de la prendre en considération dans les décisions thérapeutiques prises. En effet, le système physiologique est intriqué aux autres systèmes externes du souffrant. Les réactions au traitement sont donc dépendantes du vécu singulier du sujet, de ses défenses et de son contexte de vie actuelle.

Cette réalité remet au centre des préoccupations d’aide la dimension temporelle de l’accompagnement :

- La qualité de la prise en charge est associée à une écoute attentive, exhaustive de l’histoire permettant de repérer les fragilités systémiques du patient. La compréhension suffisante des rigidités fonctionnelles du sujet participent à proposer un cadre adapté à ses capacités d’avancement.
- Le démantèlement des symptômes doit se poser progressivement et lentement pour ne pas déchaîner les résistances au changement.
- Le bon accompagnement demande également une implication importante de l’aidant dans un travail d’introspection et de supervision personnelle car il fait partie intégrante du système thérapeutique. Il doit pouvoir maîtriser ses manques afin de ne pas les faire porter au souffrant avec qui il est en interdépendance systémique.

Ainsi, la pathologie ou les vulnérabilités diverses parlent  des dysfonctionnements interactionnels du souffrant. Elle met, par conséquent, en écho les problématiques personnelles non réglées de l’aidant. Elle attise alors les résistances inconscientes de chacun (aidant/aidé) à l’élaboration des vrais manques. L’accompagnant est son propre outil de travail. La difficulté de son exercice est d’accepter que sa compétence passe par un travail et un soin sur soi.

Dans une société piégée dans le rendement et la performance, il trouve malheureusement trop souvent matière afin de fuir, dans l’action, ses parties vulnérables. L’aidant est alors pris dans le paradoxe « d’un soin qu’il veut mais qu’il ne peut pas donner ».

Soigner, bien-traiter, c’est s'occuper du bien-être d’une personne vulnérable, être attentif à prévenir ses besoins et ses désirs. Or, l’aidant, non conscient de ses propres faiblesses, ne peut décoder les moyens pour parvenir à satisfaire son patient. L’outil systémique est alors un formidable stimulant pour aider à repérer où sont les manques, qui doit les travailler et à quel rythme afin d’être dans une prise en charge co-constructrice aidant/aidé  la plus opérante possible.

La suite de cet article la semaine prochaine...