mercredi 8 juin 2016

Des enfants symptomatiques éveillant leurs parents (Partie 6/8)


Le symptôme de Marion au service de la problématique d’affirmation des parents 


Beaucoup d’entre eux, toutefois, réussissent dans leurs missions bienfaitrices ! Durant les thérapies groupales, il est fascinant de constater la manière dont les troubles de ces enfants se révèlent le remède singulier afin que tout un système sorte de dysfonctionnements lourds. Ils savent déployer une créativité impressionnante lorsqu’il s’agit de faire évoluer pertinemment leurs symptômes en fonction des résistances au changement de leur groupe. 

Ainsi, Marion usait de la provocation pour aider des parents trop généreux à s’affirmer. Elle ne disait pas bonjour à son père le matin. Elle lui parlait de façon impertinente. Elle se levait tardivement et elle recherchait constamment le lien fusionnel avec sa mère. Cette dynamique entraînait une tension certaine dans le couple et le foyer en général. Un jour, son père satura et réagit dans une colère et un comportement impulsif vis-à-vis de son enfant. Marion avait réussi à lui faire travailler sa problématique. 

L’homme commençait ainsi à s’opposer mais il le faisait maladroitement. Pour aider son parent à poursuivre son avancement, Marion ajusta son symptôme afin de l’aider à travailler son assertion de façon plus nuancée. Elle devint de plus en plus exigeante dans sa relation à sa mère. Elle cessa, de cette façon, d’être dans une manipulation affective où elle créait une alliance inconsciente fille/mère contre le père. De ce fait, la mère eut plus d’énergie pour sortir de ce lien étroit à son enfant et pour rechercher un travail extérieur. Cette dynamique nouvelle permit au duo père/fille de se retrouver fréquemment à la maison en l’absence de la mère. Le père joua plus facilement son rôle autoritaire. Il n’était plus parasité par le regard désapprobateur de sa femme non suffisamment encore différenciée de son enfant. La fille acceptait plus aisément également les consignes car cet espace privilégié avec son père lui permettait de sortir d’une relation exclusive avec sa mère.

La situation s’améliorait mais le couple avait encore trop tendance à s’oublier en se centrant sur le travail et les tâches parentales. Marion adapta, à nouveau, ses troubles afin de continuer à faire évoluer les parents. Alors qu’elle avait d’excellents résultats jusqu’alors, ceux-ci se mirent à chuter. Elle se couchait de plus en plus tard en raison d’une mauvaise gestion de ses devoirs. Elle souffrait également d’être séparée de ses camarades qui restaient à l’internat le soir. Cette problématique de Marion permit sa résolution dans une émancipation. Elle fut inscrite au pensionnat. Les parents purent alors davantage investir leur intimité de couple. Ils  multiplièrent les sorties distrayantes et les échanges profonds entre eux. La revalorisation de cet espace amoureux engendra un besoin de reconnaissance professionnel chez monsieur. Il signifia à ses employeurs son mécontentement d’avoir été trop longtemps exploité. Il fit comprendre qu’il ferait désormais son travail sans  s’alourdir de celui des autres. Cette rébellion permit alors l’aménagement d’espaces personnels plus confortables. En effet, il avait plaisir maintenant à bricoler quand il revenait chez lui. Auparavant, sa frustration professionnelle le clouait devant sa télévision. Il s’isolait fuyant toute relation perçue généralement comme abusive. 

Marion avait réussi, dans des stratégies fines, à bousculer ses parents dans leurs problématiques d’affirmation. Sur le chemin d’avancement, la jeune fille avait manifesté encore quelques brillants symptômes pour que les adultes ne relâchent pas leur rythme évolutif. Ainsi, elle avait eu des difficultés relationnelles avec une correspondante allemande. Elle était sortie avec un garçon intriguant. Elle avait voulu passer ses grandes vacances loin de ses parents. Elle avait mobilisé la solidité de sa mère en vivant une puberté déstabilisante. Bref, elle avait su cheminer, pas à pas, auprès de ses parents afin de manifester les symptômes adéquats selon la trame évolutive du scénario affirmatif co-construit ensemble !

La suite (septième partie) la semaine prochaine...

mercredi 1 juin 2016

Des enfants symptomatiques éveillant leurs parents (Partie 5/8)


L’amour inconditionnel s’exprimant au cœur du symptôme de l’enfant éveillé


Les symptômes de ces êtres éveillés se distinguent, en cela, des symptômes plus ordinairement retrouvés chez les enfants.  Ces petits « instructeurs magiciens » sont plus soucieux des autres que d’eux. Alors que leurs maux symbolisent un amour et une aide inconditionnels pour leur système dysfonctionnel, les maux de l’enfant "ordinaire" traduisent une douleur narcissique et un repli autistique protecteur face à ce même système dysfonctionnel.  

Là où l’enfant "ordinaire" exprime dans ses troubles une désillusion et un retrait relationnel, l’enfant "éveillé" manifeste, dans ce même processus symptomatique, une pleine implication affective et de soutien auprès des siens. 

L’enfant "ordinaire" copie dans ses maux les désadaptations d’un adulte référent qui le fait souffrir. Il devient froid, absent ou insensible comme l’un. Il devient colérique, pervers ou antisocial  comme l’autre. Il reprend alors le modèle déstructurant d’un de ses principaux objets d’attachement. Ainsi,  il développe les mêmes blessures narcissiques et le même handicap relationnel et émotionnel que celui qui a nui à son épanouissement.

L’enfant « ordinaire » parle alors dans ses symptômes de son identification à l’agresseur. Il pointe cet insuffisant amour donné à soi et à l’autre pour réagir et progresser. Il signe l’abandon  de tout espoir d’un bonheur basé sur les vraies valeurs de partage, de confiance et d’amour. L’enfant s’illusionne à penser une existence sensée seulement s’il suit le modèle erroné de celui qui est la cause de ses symptômes ! La force intérieure de l’amour n’est pas suffisamment signifiante pour lutter contre des schémas déstructurants imposés par un système proche.

Chez les petits êtres symptomatiques "éveillés", l’onde d’amour qui les traverse est telle qu’ils sont incapables de se protéger de la souffrance des leurs. Ils développent alors de lourds troubles car ils ne peuvent s’éloigner de la négativité et des dysfonctionnements de leur système. Ils sont alors des réceptacles privilégiés de ce stress groupal. Ils absorbent « l’énergie basse » et sont aussi phagocytés dans leur « énergie positive » par ces systèmes-émetteurs désadaptés. La force de leur amour est telle qu’ils investissent tout leur savoir et leur créativité afin de faire de leurs symptômes une formidable aide pour ceux qui en sont pourtant la cause ! 

Nous sommes donc loin de l’expression du mal-être de nos enfants "ordinaires" dans des défenses rejetantes et excessivement individualisantes.  Ces enfants "éveillés" répondent en effet aux nuisances de leur système par une volonté d’aide signifiante et parfois sacrificielle. Ils n’hésitent pas à saboter leur bonheur pour soutenir leurs proches. Alors que l’enfant "ordinaire" pourra se réfugier dans un comportement indifférent, distant, autistique ou anti-social pour se protéger des blessures narcissiques induites par son système, l'enfant éveillé exprimera, lui, dans ses troubles toute sa proximité et son aide aimante.

Ainsi, il n’est pas rare de croiser dans nos cabinets ces « belles âmes » ayant évolué chaotiquement vers l’âge adulte. Elles peuvent souffrir de graves pathologies telles que des psychoses, des troubles bipolaires, vivre la violence, être sans domicile fixe, être dépendante dangereusement vis-à-vis d’addictions ou de relations. En fait, ces enfants, devenus grands, ont persisté dans leur mission de soutien et d’amour inconditionnels. Malgré les faibles résultats qu’ils ont obtenus parfois dans le déploiement de leurs « symptômes thérapeutiques », ils ont persisté à les maintenir longuement jusqu’à en oublier leur belle essence. De plus en plus affectés narcissiquement par leurs troubles, ils ont développé alors un délire d’auto-dépréciation et de culpabilisation. Ils ont été incapables de quitter la relation pour se protéger tant ils se définissent par leur grande compassion et leur grande fidélité aimante. La seule solution alors, pour supporter une relation insensée dont ils ne peuvent se désengager, est de construire la fausse croyance qu’ils sont responsables de cet échec relationnel !

Ils restent ainsi présents auprès de ceux qu'ils aiment, ne désespérant pas de voir un jour leurs troubles opérer de manière structurante dans leur système dysfonctionnel !

La suite (sixième partie) la semaine prochaine...