- Extrait "de sur les traces de la Source des paroles de Jésus (Document Q) de Frédéric Amsler
Lien : https://www.evangile-et-liberte.net/elements/horserie/001.html
Le royaume de Dieu est le centre de gravité du message de Jésus selon la Source. Le terme de royaume au sens technique de royaume de Dieu apparaît en effet à dix reprises de manière sûre (Q 6, 20 ; 7, 28 ; 10, 9 ; 11, 2b.20 ; 12, 31 ; 13, 18.20.28-29 ; 16, 16) et encore cinq fois (notamment 11, 52 ; 17, 20-21) avec un certain degré d’incertitude. A la différence de la conception commune juive antique, il ne s’agit pas, dans notre Source, d’un royaume au sens politique du terme. Il ne se présente nullement comme une restauration d’Israël en tant qu’entité politique, nationale, ethnique et collective. Il n’est pas non plus le résultat d’une guerre cosmique et eschatologique comme chez les Esséniens. Il semble tout au contraire surgir là où on ne l’attend pas, au creux des relations interpersonnelles qui se tissent dans la vie quotidienne (// la systémique mettant en relief les lois d'équilibre). Ce document le montre dans tout ce qu’il a de paradoxal, de choquant et d’insaisissable.
Dans la Source, le royaume est un mode d’existence nouveau, idéal, utopique, qui engage corps et âme dans tous les instants de la vie. Le Document Q dévoile comment, à travers Jésus et ceux qui l’imitent, le royaume de Dieu se fait présent. En ce sens, le royaume est une métaphore de la relation pleine et entière que l’être humain peut entretenir avec Dieu. Il est la réconciliation de toute la personne avec le Père.
La condition de cette réconciliation est un décentrement radical de soi. Pour accéder au royaume, il faut convertir non seulement son âme et son intelligence, mais aussi son corps en lui imposant un nouveau mode de vie, celui du pauvre. A l’instar de l’expression “ royaume de Dieu ”, l’appellation “ pauvre ” est une désignation traditionnelle du fidèle authentique dans le judaïsme antique et notamment à Qumrân (voir 4 Q 259). Selon la Source, “ pauvre ” est un des termes techniques par lesquels se désignent les fidèles de Jésus. Le pauvre n’est pas simplement le non-riche, c’est plus radicalement celui qui, par sa vie à l’imitation de Jésus, préfigure le royaume. Il est celui qui s’est dépouillé de toutes ses sécurités, qu’elles soient matérielles, philosophiques, psychologiques ou morales. Cette nouvelle conscience de soi que le “ pauvre ” met en évidence se caractérise par un renoncement absolu à la vengeance et par l’amour des ennemis. La condition de disciple n’est par conséquent pas liée à une confession de foi ou à un rituel, mais réside dans la mise en pratique des paroles de Jésus (Q 6, 49 “ Pourquoi m’appelez-vous : Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis ? ”).
- Extrait de "Jésus et Marie : le grand amour… vraiment" de René Guyon
"Jésus a douze ans ; il est donc proche du jour où il deviendra Bar Mitsvah, fils du commandement 1, c’est-à-dire considéré comme adulte et en mesure de se conformer aux 613 commandements de la loi de Moïse.
C’est dans ce contexte que l’évangile de Luc le montre en train de débattre avec les Docteurs de la Loi dans le temple de Jérusalem, alors que ses parents le cherchent depuis trois jours. Luc précise, non sans humour sans doute, qu’il posait des questions aux docteurs et que ceux-ci étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses ! Jésus s’y comporte donc bien en adulte. C’est pour cela qu’à sa mère qui lui fait part de sa détresse et lui dit « mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? » il répond qu’en tant que jeune adulte (et non plus enfant ) il doit « être aux affaires de [son] père »… Il insinue aussi – vertement sinon méchamment – qu’ayant vécu en tant qu’actrice principale l’Annonciation de l’ange Gabriel et tous les épisodes précédents de cet évangile elle ne devrait pas être surprise par cet événement : « ne saviez-vous pas que je dois être ? » (le pluriel du verbe englobe Joseph, qui est le grand muet des évangiles)…
Luc prend d’ailleurs soin d’encadrer cet épisode par les mentions « l’enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse » (2,40) puis « Jésus croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (2,52) : Jésus est bien passé de l’enfance à l’âge adulte dans cette péricope.
Et sa première parole – parole d’adulte – remet vertement sa mère à sa place : « De quoi te mêles-tu ? ».
Bien sûr vous pouvez, amis lecteurs, me faire remarquer qu’aussitôt Luc croit bon de rajouter : « Jésus redescendit avec eux et il leur était soumis » !
Mais le fait est là : Marie ne comprend déjà plus son fils, qui lui échappe !
C’est la seule rencontre entre Jésus adulte confirmé et sa mère, au deuxième chapitre de l’évangile de Jean. On note immédiatement deux éléments importants : d’une part Marie y est appelée « la mère de Jésus » et son fils l’appelle « Femme », d’autre part il est évident qu’ils ne sont pas venus ensemble à ces noces : « La mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité » (2,1-2).
Elle lui dit : « ils n’ont pas de vin ». Notez au passage, amis lecteurs, qu’il n’est pas dit « ils n’ont plus de vin », lecture extrêmement terre-à-terre de cette intervention que font certains. Je vous laisse imaginer la portée spirituelle de cette affirmation catégorique de Marie.
Notre sujet nous oblige à nous arrêter sur la réponse de Jésus, que la Bible de Jérusalem “traduit” par « que me veux-tu, femme ? », en grec « ti émoï kaï soï, gunaï, littéralement : « Quoi à moi et à toi, femme ? »
On a – évidemment – beaucoup travaillé dans les milieux catholiques pour gommer la virulence de cette réponse de Jésus (qui est censé être un fils parfait vis-à-vis de sa mère !). Regardons donc rapidement les occurrences de cette phrase dans la Bible (car il y en a plusieurs !) :
Dans le nouveau Testament : Marc 5,6-7 (parallèle en Luc 8,28) : Voyant Jésus de loin, il (l’homme de Gérash possédé d’un esprit impur) accourut, se prosterna devant lui et cria d'une voix forte : « Qu’y a-t-il entre moi et toi, Jésus, fils du Dieu Très-Haut ? Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas ! »
Dans le premier Testament : Juges 11,12 : Jephté envoya des messagers au roi des Ammonites pour lui dire : « Qu'y a-t-il entre moi et toi pour que tu sois venu faire la guerre à mon pays ? » ; 1Rois 17,18 où [la maîtresse de maison] dit à Élie : « Qu'y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Tu es donc venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils ! ». Il en est de même en 2Rois 3,13, en 2Chroniques 35,21, en 2Samuel 16,10 et 19,23.
Comment peut-on affirmer que cette réponse est soft et filiale ? Jésus dit clairement à sa mère, une nouvelle foi : « De quoi te mêles-tu ? ».
Nous abordons là, dans les synoptiques, des épisodes de la vie publique de Jésus (les seuls où Marie apparaît) qui ont donné lieu à bien des commentaires sur deux points fondamentaux : la relation entre Marie et Jésus (sujet de cet article) et l’évocation des frères et sœurs de Jésus.
Le combat (le mot n’est pas trop fort) relatif à l’existence ou non de ces frères et sœurs ne finira sans doute jamais, car reconnaître leur existence supposerait pour l’Église catholique l’abandon de pans entiers de la mariologie, aussi bien dogmatique que pieuse : virginité perpétuelle de Marie, modèle de celles qui ont fait vœu de chasteté (ou même seulement de célibat), rôle quasi nul de Joseph qui ne devait pas « souiller » la femme qui avait donné naissance au fils de Dieu et – un pape l’a dogmatisé… dix-huit siècles plus tard – qui a bénéficié d’une conception immaculée, etc.
Pourtant les frères de Jésus sont clairement mentionnés en Marc 6,3 : « Celui-là n'est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? ».
Quant à la conversion de ses frères, on peut en juger en lisant Jean 7,3 : Ses frères lui dirent : « Passe d'ici en Judée, que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais : on n’agit pas en secret quand on veut être en vue », alors que juste avant Jean avait mentionné que « Jésus (…) n’avait pas le pouvoir de circuler en Judée parce que les juifs cherchaient à le tuer ». Voilà des frères qui veulent envoyer leur frère au “casse-pipe” et qu’on ne peut confondre avec des disciples ! Jean le note encore en disant : « Pas même ses frères ne croyaient en lui. » (Jean 7,5)
N’est-ce pas clair ? Disciples et frères, combats différents…
Nous arrivons ainsi au cœur de la réflexion sur les rapports entre Marie et Jésus, car on est obligé de remarquer que Marie est toujours liée à ses fils et filles, les frères et sœurs de Jésus.
Visiblement il ne vit ni avec sa mère ni avec ses frères comme le suggère Marc 3,20-21 : « Il vient à la maison (à Capharnaüm) et de nouveau la foule se rassemble (…) et les siens, l'ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car ils disaient : “Il a perdu le sens”. » Dans les siens il y a Marie.
Suivent les versets fameux où Jésus est dans « la maison » évoquée à l’instant quand on lui dit : « ta mère et tes frères sont là dehors et cherchent à te parler » ; il répond : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » et tendant la main vers ses disciples il dit : « Voici ma mère et voici mes frères. Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » (Matthieu 12,48-50).
Je résume la réponse de Jésus : « en voulant me détourner de ma mission ma mère et mes frères et mes sœurs ne font pas la volonté de mon Père qui est aux cieux » !
On a dans cet épisode deux informations fondamentales : la distinction claire entre les frères de sang et les disciples, ainsi que la manifestation évidente de l’antagonisme entre Jésus et sa famille, y compris Marie, elle qui pourtant a vécu l’Annonciation, la Visitation, la visite des Mages, la Présentation au Temple, le Recouvrement au Temple… tous ces événements qu’elle « gardait dans son cœur », comme aime à le dire Luc. Elle ne devrait pas être aussi étonnée par le comportement de son fils.
Parlons encore plus clairement : Jésus considère que sa mère, ses frères et ses sœurs s’opposent à sa mission et y font donc obstacle !
Encore une fois Jésus répond, à propos de sa mère : « De quoi se mêle-t-elle ? ».
J’ai écrit (il y a déjà quatre ans !) un article intitulé Marie, fille de Sion et mère des chrétiensauquel je vous suggère de vous reporter, amis lecteurs.
J’y proposais une lecture symbolique et théologique de cet épisode, Marie et le disciple aimé étant les représentants respectifs du judaïsme (Marie fille de Sion) et du futur « peuple chrétien » (le disciple).
Faire une lecture fondamentaliste de cet épisode (considéré alors comme « historique ») qui montre Marie au pied de la Croix n’est à mon avis (comme pour celui de Cana) pas souhaitable, même si elle apporterait de l’eau à mon moulin en montrant que les relations de Jésus avec ses frères et sœurs étaient à ce point détestables qu’il a remis sa mère au disciple bien-aimé et non à eux…
En effet, les trois synoptiques contredisent Jean et précisent explicitement et de façon unanime que les personnes présentes se tenaient à distance (et non pas au pied) de la croix : il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là même qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient, entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée (Matthieu 27,55-56 ; parallèle en Marc 15,40-41 et Luc 23,49). Il est bon de noter que Marie mère de Jésus n’y est pas citée, alors qu’on y trouve sans contestation possible Marie de Magdala qui est citée par Jean.
Ce n’est pas cet épisode qui permettra d’apporter de l’eau au moulin des théoriciens du grand amour entre Jésus et Marie, cette dernière y étant encore appelée « femme » et tout à fait « désincarnée ».
On ne doit pas exclure, me semble-t-il, qu’après la mort de Jésus Marie soit restée avec ses enfants et se soit rapprochée – avec eux – des disciples pour essayer de comprendre avec ceux qui avaient fait confiance à son fils les événements qui venaient de se passer et se protéger de l’extérieur (Actes 1,14 : c’est là la dernière mention de Marie dans les Écritures chrétiennes). Elle était sans doute présente au Cénacle le jour de la Pentecôte juive et aux événements décrits dans les Actes des Apôtres (chapitre 2) ; il semble alors que ses frères ont commencé (enfin) à croire en Jésus et on les retrouve ici et là dans les Actes, alors que Marie disparaît totalement."
Nous avons fait une étude rapide mais exhaustive des épisodes où la mère de Jésus apparaît dans les évangiles. Nous l’avons vue au Temple, à Cana, cherchant son fils et enfin au pied de la Croix : à chaque fois elle s’est trouvée en opposition avec lui, et lui avec elle ; à chaque fois – sauf à la Croix – Jésus a eu des mots très durs pour elle ; à chaque fois elle s’est tue ou a dit aux servants : « faites ce qu’il vous dira ! », ce qui est aussi une façon de ne plus se mêler de l’affaire. Où sont la Marie et le fils aimant et docile que nous décrivaient et nous décrivent encore bien des ouvrages pieux, sur papier ou sur toile ? Où est le Jésus fils parfait d’une mère parfaite de l’iconographie sulpicienne ?