lundi 16 mars 2015

Vidéo interview | Retranscription partie 2/5

















2e partie de la retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Ce regard interactif de la systémique nous rappelle que les comportements de l’homme ne peuvent pas se comprendre en dehors de leur contexte d’apparition !

Oui, c’est pourquoi une approche non complète de l’histoire de vie du souffrant n’a pas de sens. Plus les morceaux du puzzle contextuel et relationnel sont regroupés dans leur exhaustivité, plus il est facile d’accéder à une représentation claire de la situation d’ensemble.

À l’heure actuelle, les techniques thérapeutiques proposées sont trop parcellaires. Elles ne prennent en compte qu’un pan insuffisant des influences modelant les pensées et les comportements d’un sujet. Le souffrant détient les solutions à son problème, mais il n’en a pas conscience. En effet, il conserve dans sa mémoire un descriptif détaillé des jeux relationnels et transgénérationnels dans lesquels il est engagé. Il a, par conséquent, accès à ses zones d’indifférenciation et à celles de son système pour les travailler et s’en défaire. L’objectif de soins est de proposer une méthode d’intervention qui permet la restitution de ces informations communicationnelles résolutives.

L’efficacité de cette méthode s’étaye donc sur sa capacité à dévoiler le matériel relationnel dysfonctionnant et créant le symptôme?

Oui, en ayant accès à ces problématiques interactives, ces scénarios relationnels concrets, on a également accès à la manière de s’en dégager et d’éviter le stress condensé dans le symptôme ! Schématiquement, je dirai que le bien-être d’une personne tient à un bon équilibre entre son niveau d’individuation et son niveau d’appartenance à ses systèmes. Un solide appui identitaire sur ses groupes  mais également une protection narcissique, égocentrique de niveau égal sont les clés d’une vie harmonieuse.

Les problèmes surviennent lorsqu’un sujet est soit trop sacrificiel ou soit trop isolé de ses groupes. Ainsi, pour qu’il y ait une bonne gestion des distances relationnelles et des communications, il faut que la personne distingue ce qui relève de ses fragilités de celles d’autrui. Cela parait simple comme cela. Pourtant, les souffrances humaines découlent principalement de cette confusion dans les attributions des rôles.

En effet, une personne ne peut régler que ses propres problèmes. On voit là les conséquences d’une mauvaise compréhension des responsabilités. Si elle projette sur autrui ses failles, alors le nœud conflictuel ne peut pas se régler puisqu’il est abordé et travaillé au mauvais endroit. De même si la personne porte les tensions d’un autre, alors elle ne peut se sentir qu’impuissante puisqu’elle ne peut pas résoudre ce qui ne lui appartient pas ! Pendant ce temps-là, le concerné n’avance pas puisqu’il n’est pas confronté suffisamment à son problème porté par un tiers ! Cette règle psychique topographique semble couler de sens et facile de pratique. Ce n’est qu’une apparence, car vous pouvez être assuré que son application est systématiquement malmenée lorsque de lourds symptômes apparaissent chez un sujet.

Comment cela se manifeste concrètement ?

Par exemple, une maman enchevêtrée à sa fille peut porter sa douleur. Elle lui donne de l’argent  mais ce service ne fait que paralyser la résolution du problème, la fille paye sa dose d’héroïne avec. Elle évite ainsi de s’interroger sur son mal. Un conjoint projette ses manques sur sa femme en l’accablant de reproches. Il s’enfonce dans la violence et demeure éternellement insatisfait des efforts de celle-ci. Normal, son épouse a beau porter le stress de son mari. Elle ne peut réparer ses plaintes et ses blessures infantiles, car il les dit au mauvais endroit ! Donc, si vous reprenez l’histoire du souffrant, vous êtes garanti de trouver systématiquement, dans son passé et dans son quotidien, un panel d’exemples mettant en relief la toxicité de ses incorrects mécanismes d’attribution.

En déduction, si une personne est dans un bon équilibre entre appartenance et autonomisation, elle est dans un niveau constructif d’attribution des responsabilités et donc dans une analyse pertinente de la résolution d’un problème ?

Oui, exactement, ce qui lui permet de dénouer les problématiques individuelles et relationnelles lorsque celles-ci se présentent sur son chemin de vie. Bowen parlait de bon niveau de différenciation d’un sujet pour qualifier sa capacité à être lui-même tout en restant impliqué dans la relation. On retrouve ici cette compétence à se situer dans un ajustement harmonieux entre individuation et cohésion groupale.

Cette dynamique conduit à une répartition pertinente des tensions dans un système. Le partage cohérent du stress dans la relation libère ainsi d’un processus symbiotique ou au contraire de processus de rupture avec l’autre. Ces deux cheminements ne pouvant aboutir qu’à une fixation ou accentuation de la problématique ! En effet, l’étouffement stérile à porter le problème de quelqu’un ou l’évitement à regarder ses propres difficultés conduisent à une condensation croissante du stress dans des symptômes signifiants.

Donc disons schématiquement qu’un sujet bien différencié réduit considérablement ses risques de développer des symptômes !

Oui hier encore j’échangeais avec une personne en rémission d’un grave cancer. Cette évolution surprenante succédait à une réorganisation profonde de sa dynamique relationnelle. Durant sa thérapie, elle avait travaillé le lâcher-prise et une meilleure individuation. Elle s’était ainsi posée sur ses fragilités et ne les avait plus fuis. De même, elle avait appris à ne plus surprotéger son entourage pour ne pas le bloquer face à des confrontations nécessaires.

Ainsi, elle avait réglé sa problématique de trop grand contrôle et elle avait accédé à une authenticité communicationnelle en obligeant les siens à faire face à leurs propres rigidités. Pour moi, cette évolution inattendue n’est pas un miracle. Le stress, concentré dans sa tumeur au cerveau, s’est sans doute résorbé grâce à son élaboration et à sa résolution au bon endroit ! Le lourd symptôme a obligé à l’aménagement de défenses plus adaptées et à la reconfiguration de règles interactionnelles devenues dangereuses.

Dans cette logique contextuelle, on repère comment la pathologie physique ou psychique, malgré son caractère contraignant voire dangereux, s’inscrit comme volonté et élan d’avancement !

Ce phénomène paradoxal, c’est l’idée principale que je souhaiterais transmettre aujourd’hui  car cette prise de conscience est essentielle afin d’accompagner, de manière pertinente, le souffrant. Malheureusement, je constate, chaque jour, dans ma pratique combien cette réalité psychique est ignorée.

Les soignants comme les patients sont déstabilisés par le bruit des symptômes et de la crise. La douleur, la peur et le souci d’exigences parasitent les capacités de prise de recul par rapport au sens à donner aux troubles et à leurs intensités. Pourtant, l’analyse posée et réfléchie d’une situation chaotique nous donne les clés et les indices d’un dénouement possible. Plus une problématique est rigide, plus elle fait de bruit dans son démantèlement.

Des manques enkystés et devenus familiers depuis des années, voire des générations, ne peuvent se défaire que très laborieusement. Chaque minime adaptation à un nouveau code de fonctionnement, même positive, mobilise alors une énergie importante et des résistances au changement de la même ampleur. La pulsion d’inertie se traduit dans l’expression du symptôme paralysant.

Ainsi, plus les repères destructurants sont ancrés profondément, plus la pathologie est signifiante et dénonce les difficultés de transformation du système. Or s’il y a crise bruyante, c’est qu’il y a des résistances au changement et donc derrière des changements positifs que le souffrant met en place, vous me suivez ?

En fait le symptôme peut trahir la trace d’un élan d’individuation bénéfique ?

Oui, tout à fait, et plus l’épisode aigu est signifiant, plus il laisse entrevoir la rigidité des repères dysfonctionnels antérieurs que le souffrant souhaite bouger. Ce constat doit nous aider à réaliser un fait important : des fragilités signifiantes ne peuvent s’élaborer  et se dénouer que dans la tension, la désorganisation et l’inconfort. Elles ne peuvent pas se dissiper dans le silence et le calme.

Ainsi, les malades psychotiques rencontrent des étapes évolutives bruyantes à chaque mouvement discret de leur individuation. Cette réalité est d’autant plus importante à souligner pour sortir d’un biais important dans notre système de soins : la participation involontaire du monde médical dans l’étouffement de crises salvatrices.

Ainsi, des traitements chimiques trop lourds participent à la mort psychique du souffrant. Ces inhibiteurs entravent l’élaboration des problématiques. Certes, le patient est calme. Il devient un gentil malade stabilisé, mais ce que l’on a gagné ce n’est que du silence gênant. En effet, l’élan narcissique a été court-circuité par la petite molécule et le bruit de l’avancement ne s’est pas exprimé ! L’époque étouffe les phénomènes bruyants et prône le maintien du calme et de l’ordre. Difficile, dans ce contexte, de proposer une approche et une thérapeutique pertinente de la souffrance !

La suite la semaine prochaine...
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