dimanche 29 mars 2015

Vidéo interview | retranscription partie 4/5

















4e partie de la retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Finalement la nature humaine est bien faite !
C’est pourquoi le sous-titre de mon livre est intitulé « le patient est un soignant qui s’ignore » ! Le symptôme met en relief le problème et facilite sa résolution. Le souffrant détient les informations précieuses et les clés pour le changement.

Le soignant n’a pas le savoir, il est un guide qui va aider au décodage du rébus symptomatique pour respecter les conditions de l’avancement. Il est question de réfléchir en co-partenariat Patient/soignant au sens du symptôme et à ce qu’il indique de la manière de cheminer dans la résolution du trouble.

D’ailleurs, dans les maux psychotiques, l’aidant devrait être plus attentif à rentrer dans les délires et les hallucinations du souffrant. Ses symptômes révèlent systématiquement dans une symbolique indirecte la problématique réelle et la manière de la démanteler. Rien n’est figé, pour moi les structures pathologiques figées n’existent pas, il n’existe que des dysfonctionnements ébranlables même si dans les problématiques lourdes le chemin évolutif est long et passe par de nombreux temps de crise structurants même si fragilisants ponctuellement.

Mais pourquoi, à votre avis, ce que vous décrivez des processus de guérison est si peu assimilé par les soignants ?
Tout simplement, parce que le soignant est son propre outil de travail. Il ne peut être que parasité par ses propres problématiques personnelles s’il n’a pas conscience de celles-ci ou s’il ne les travaille pas suffisamment.

Finalement, toutes ces règles psychiques énoncées sont entendues par le corps médical tant qu’elles sont abordées sur un territoire clinique qui ne réveille pas ses problématiques. À partir du moment où la situation pathologique fait écho aux fragilités du soignant, l’accompagnement thérapeutique va être biaisé.

Exemple, un aidant non assez affirmé va étouffer des élans d’émancipation salvateurs chez le patient. Il va donc censurer un mouvement de progression essentiel. Une infirmière intrusive dans sa relation à ses enfants ne saura pas accompagner un parent étouffé dans ses choix personnels par son entourage.

Bref, l’histoire systémique du soignant influence sa capacité à analyser de manière constructrice une situation clinique. La qualité de la prise en charge dépend donc du propre niveau de différenciation des soignants. Il doit être dans un bon équilibre entre individuation et appartenance à ses systèmes.

D’ailleurs, la question qui me semble pertinente à poser lorsqu’on recrute dans le milieu médical est celle-ci : « Accepteriez-vous de vous poser régulièrement dans un espace subjectivé afin d’être supervisé sur des situations cliniques difficiles et afin de réfléchir à ce que cela réveille de vos propres problématiques ». Même si ce cadre de travail imaginé ne se met pas en place concrètement, la réponse du soignant à cette proposition permet d’avoir accès à ses capacités d’introspection, de remise en question et de travail sur les manques.

Si la personne est réceptive à cette façon de travailler, vous pouvez être assuré qu’elle dispose des qualités émotionnelles et relationnelles nécessaires à un bon accompagnement thérapeutique ! Elle est prête à se centrer sur ses propres fragilités pour aider le souffrant à sortir des siennes. Lorsqu’elle est en difficulté dans une prise en charge, elle ne fuit pas défensivement et stérilement dans une projection excessive de ses failles sur celles du patient.

Pensez-vous alors que c’est la peur de l’homme à se confronter à ses propres problématiques qui lui fait associer trop souvent des faits, des accidents, des symptômes au hasard ?
J’en suis persuadée ! L’incompréhension de certaines situations est liée à un manque d’approfondissement du contexte dans lequel elles sont nées. Pourquoi ces pseudo-aléas  ne sont pas assez analysés me direz-vous ? Tout simplement parce qu’ils renvoient à des nœuds fragilisants évités inconsciemment par son observateur.

Plus un individu maitrise ses problématiques, plus il entrevoit clairement la manière dont certains hasards malencontreux sont des résistances au changement signifiantes. Ainsi, j’ai regroupé différents types d’imprévus prenant sens selon la nature de la crise dans laquelle ils s’inscrivent.

Dans la crise graduelle, nous retrouvons comme pseudo-hasard l’angoisse, les somatisations chroniques, les troubles psychiques chroniques, les conduites pathogènes, les effets secondaires des traitements.

Dans la crise finale, nous relevons le suicide, la prise de risque grave, les maladies somatiques graves, les maladies mentales lourdes, les accidents graves ou les réactions secondaires dangereuses aux médicaments.

Enfin, dans les crises accidentelles, il se retrouve les maux somatiques, les actes manqués, les lapsus, les conduites exagérées.

Schématiquement, la crise graduelle appelle à des changements, mais le souffrant peut encore régresser sur ses anciens modes défensifs lorsqu’il a suffisamment récupéré. Dans la crise finale, la saturation psychique est optimale, le sujet est obligé de changer radicalement ses repères pour continuer le chemin. Dans la crise accidentelle et ponctuelle, le souffrant a entamé le processus de changement et vit des tensions importantes à chaque remaniement de ses codes.

Ainsi, tous ces pseudo-hasards présentés ne sont que des variations d’intensité différentes d’opposition au  remaniement de dynamiques fonctionnelles rigides.

L’angoisse est une tension née du tiraillement entre deux mouvements pulsionnels antagonistes, entre force d’avancement et force autoconservatrice.

Les accidents, les somatisations ou les prises de risque résultent de blocages évolutifs signifiants.

Les effets secondaires au traitement apparaissent souvent comme résistance à des bouleversements organiques et psychiques trop importants engendrés par la molécule chimique. Cette réalité homéostasique est également très importante à souligner afin que le monde médical soit vigilant au contexte de vie d’un sujet lorsqu’il prescrit un traitement.

Donc, les graves effets secondaires et passages à l’acte liés aux psychotropes suivraient une logique systémique. Ils seraient déclenchés par l’interdépendance entre les systèmes internes et externes du sujet.
Oui, exactement, selon le niveau de rigidité du milieu externe et du fonctionnement interne du souffrant, les traitements ne vont pas engendrer le même type de réactions chez lui.

Le médicament n’inhibe pas que les systèmes internes souhaités. En effet, si le système nerveux peut être moins sensible, le système cognitif aussi. Ce fait est très ennuyeux, car l’élaboration d’une problématique rigide réclame des conditions d’attention, de raisonnement et d’intégration suffisante. Il ne faut pas oublier que la tension interne est le carburant nécessaire afin de dénouer des dysfonctionnements lourds.

Chaque remaniement, sur un terrain auto-conservateur, entraîne des résistances au changement signifiantes. C’est le principe systémique. Donc, si on supprime, de manière chimique et artificielle, une pression psychique trop forte, l’inconscient ne peut pas répondre autrement à la demande de détente, dans l’immédiat, qu’en convoquant les pulsions de mort.

En effet, la résorption des contraintes douloureuses ne peut se dénouer que très lentement et dans la tension. La progression entraîne, d’ailleurs, comme nous l’avons souligné, une recrudescence des symptômes dans les premiers temps de l’avancement. Selon les propriétés des systèmes bloqués, les grands changements fonctionnels, même si positifs, provoquent des oppositions lourdes dans les débuts de l’adaptation !

Le dénouement d’une pathologie signifiante passe obligatoirement par des temps de crise, révélateur de résistances naturelles et importantes à tout processus inconnu loin du familier. Si on essaie d’obtenir le démantèlement de la contrainte dans l’urgence, l’inconscient ne trouve qu’une seule solution : la mort !

Cette vision systémique révolutionne la façon dont les médecins doivent prendre en charge la douleur psychique !
Le soignant est si bienveillant qu’il souhaiterait soulager son patient rapidement, mais, dans les pathologies lourdes, il faut qu’il accepte que ce n’est pas possible. La guérison passe au contraire par des mouvements aigus nécessaires.

Ainsi, en augmentant les doses, il n’est pas rare de constater que ce qui avait voulu être évité se manifeste : la catastrophe ! Certes, il faut essayer de soulager du mieux possible en proposant des doses raisonnables qui n’endorment pas complètement la tension nécessaire à l’élaboration.

De même, des traitements ponctuels comme les anxiolytiques neutralisent des ressentis aigus réactionnels à un remaniement brutal et prégnant. Ils n’entravent pas, comme les traitements de fond lourds, une paralysie continue de la réflexion. Ils peuvent ainsi soulager un peu dans l’immédiat. Toutefois, une tension significative doit perdurer pour que le sujet ne règle pas son mal dans le recours à une inertie totale.

La suite la semaine prochaine...
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