dimanche 22 mars 2015

Vidéo interview | Retranscription partie 3/5

















3e partie de la retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Dans les prises en charge de malades psychotiques, observez-vous ces phénomènes assourdissants de l’avancement ?


Oui, tous les jours. C’est pourquoi, il faut être vigilant à bien contenir ces phases fragilisantes de démantèlement d’une problématique. Il ne faut pas oublier, que dans les pathologies lourdes, le travail à une meilleure différenciation est délicat, car la tension est optimale lorsque le sujet tente de bousculer le plus minime code d’enchevêtrement à son système. Toutefois, la contenance du cadre thérapeutique et la réassurance donnée au patient du côté légitime de ce bruit de l’avancement protègent de bien des régressions et des découragements paralysants.

C’est là où l’on voit toute l’importance que les soignants aient bien connaissance de cette logique de guérison !

Cela, c’est certain, car si le professionnel induit l’idée trompeuse que ces temps de désorganisation passagère sont anormaux, alors le patient se sentira en état de confusion et ne trouvera aucune autre voie d’avancement, logique, il n’y en a pas d’autres ! Il puisera dans la démotivation du soignant ses propres ressentis d’impuissance. Il abandonnera alors toute tentative d’émancipation, pourtant le seul médicament à son mal et aux dysfonctionnements de ses systèmes d’appartenance.

Finalement, sans s’en rendre compte, le monde soignant rejouera une dynamique relationnelle pathogène avec lui. Il censura un mouvement identitaire vital chez un sujet dont la fragilité est de ne pas assez l’énoncer dans ses groupes d’appartenance ! La problématique se répète une nouvelle fois dans le cadre thérapeutique et perdure !

Le souffrant est donc obligé de passer par ces temps et comportements excessifs lorsqu’il se libère de graves déficits relationnels ?

Oui, j’ai l’habitude de comparer le souffrant en plein avancement à un apprenti débutant. Il peine dans l’intégration de nouveaux repères. Il ne peut les mettre en place, au tout début, que de manière grossière.

Si nous résumons grossièrement, le propre de ce qui définit le malade, c’est de trop porter le stress de ses systèmes soit en s’enchevêtrant à eux, soit en s’en dégageant excessivement. Donc lorsqu’il avance, il apprend à s’affirmer, c’est-à-dire, à protéger mieux ses espaces personnels lorsqu’il les sacrifie trop ou à ne pas fuir ses groupes d’appartenance lorsqu’il s’isole trop. Toutefois ces dynamiques nouvelles ne peuvent pas être facilement maîtrisées au départ.

Le souffrant n’assume pas encore ces changements nouvellement mis en place. Il peut tenter inconsciemment de les saboter, en les discréditant, dans l’excès de leur expression ! Ainsi, la personne peu affirmée devient exagérément colérique ou maladroite dans ses liens lorsqu’elle commence à régler son problème. Une jeune femme devient volage lorsqu’elle sort d’une relation fusionnelle à son mari. Une épouse masochiste se rend sadique avec autrui dans les débuts de sa rébellion. La personne isolée étouffe les siens dans les débuts de ses rapprochés. Le discret se transforme en individu sans gêne.

Bref, un peu comme celui qui apprend à conduire, la nuance n’est pas encore là ! De plus, l’excès de retenue antérieure de ces émotions et comportements trop longtemps enfouis entraine leur libération massive dans les débuts de leur manifestation. C’est tout le stock pulsionnel de ce qui ne s’est pas suffisamment exprimé dans l’histoire du sujet, qui revient à la charge de manière démesurée. Cela peut être la colère, la haine, l’autonomie, la légèreté, le lâcher-prise, la méfiance. Donc, tout ressenti exagérément censuré d’antan.

Progressivement, l’expérimentation et la répétition du nouvel apprentissage en cours faciliteront son intégration et le réglage des bonnes nuances. L’assimilation d’une différenciation laborieuse est à ce prix !

Vous mettez en relief la manière dont l’impatience et une trop grande exigence de résultats immédiats constituent des obstacles signifiants dans une prise en charge pertinente d’une pathologie.

Oui, cette attitude néfaste se retrouve aussi bien chez le malade que dans son environnement. Les résistances à l’avancement sont internes et périphériques. Le souffrant doit lutter contre ses propres paralysies et celles des autres. Ainsi, il y a des règles d’exposition à ne pas brusquer. Comme nous l’avons vu auparavant, l’élaboration d’une problématique doit respecter des principes topographiques : ne porter que ses responsabilités et fragilités.

L’avancement passe également par des règles temporelles. Le souffrant est dans une phobie d’individuation. Ses symptômes en sont l’expression. Il doit donc s’exposer lentement et progressivement à son problème pour le régler. Une confrontation trop rapide à ses peurs risque autrement de le faire fuir. L’exercice d’adaptation continue serait trop épuisant émotionnellement pour être efficace. Chaque élan de différenciation réclame en effet une énergie considérable pour faire face aux résistances auto-conservatrices. La tension engendrée par des changements trop brutaux amplifierait les symptômes déjà existants et paralyserait le souffrant.

Plus le rythme est lent, plus les possibilités évolutives sont facilitées. Autre paradoxe important, il est naturel de constater une recrudescence des symptômes dans les débuts de l’avancement.

Oui, l’exposition nécessaire à ses peurs crée une tension interne qui vient s’ajouter à celle condensée dans le symptôme !

C’est pourquoi, il est important de rappeler la légitimité de ses règles psychiques si décourageantes lorsque le sujet veut se désengager de fragilités signifiantes. Averti, il ne se décourage pas et ne rebrousse pas chemin.

Il est conscient que ce processus est naturel. J’attire souvent l’attention des souffrants sur le fait qu’autrefois il avait mis en place instinctivement cette dynamique de transformation positive. Toutefois le bruit des symptômes et la stigmatisation de ses systèmes d’appartenance lui ont fait douter du caractère constructif de sa démarche. Il s’est alors arrêté dans son élan structurant.

Les récits systémiques, proposés en séance, l’aident à réaliser qu’il doit poursuivre cette trajectoire sinueuse et éprouvante s’il souhaite ne plus s’enkyster dans son problème. Il est plus facile de continuer le parcours lorsque l’on sait que c’est le seul chemin et qu’il va aboutir à la résolution des nœuds. J’ai l’habitude de donner comme exemple des récits miroirs pour illustrer ce processus paradoxal.

Je compte souvent l’histoire d’un patient qui a vu sa sciatique s’aggraver lorsqu’il a commencé à travailler sa problématique. Son handicap dénonçait un rythme de vie effréné sans espace de lâcher-prise. La pathologie avait pour fonction de ralentir un sujet là où il se mettait en danger. Il était ainsi obligé de travailler sa problématique de contrôle excessif grâce au symptôme. Toutefois, le début de la résolution du trouble ne pouvait pas s’opérer sans accentuation des douleurs. En effet, l’intégration bénéfique d’un meilleur rythme, nécessitée par la présence du handicap, provoquait dans les premiers temps de cette progression des régressions symptomatiques lourdes. La tension interne s’accentuait, car même si les changements étaient positifs, ils n’en demeuraient pas moins dans leur nature des remaniements profonds suscitant d’intenses résistances au changement. La sciatique flambait parce que le souffrant aménageait les bons repères et que son corps s’opposait à cette nouvelle dynamique non habituelle. La tension corporelle augmentait et redoublait la sciatique. Ce n’est que lorsque le lâcher-prise fut devenu suffisamment familier que la douleur put se défaire progressivement. Les résistances au changement n’alimentaient plus et ne redoublaient plus les troubles.

Dans cet exemple, on réalise mieux la double valence antagoniste du symptôme, à la fois appel et résistance au changement. C’est cette ambiguïté qui crée la confusion et la difficulté à bien accompagner le souffrant.

Oui tout à fait le trouble sciatalgique dénonçait le problème et résistait aussi à sa résolution. Le symptôme oblige, indirectement, aux changements nécessaires là où le sujet ne parvient pas à les réaliser volontairement.

Le symptôme est aussi celui qui ralentit la progression par la charge autoconservatrice qu’il revêt. Il a une fonction de résistance au changement. Toutefois, si nous allons au bout de notre réflexion, nous nous apercevons que ce qui peut constituer d’apparence une dimension négative du symptôme n’en est pas une. En effet, le frein du handicap pathologique contribue à respecter un rythme modéré dans le démantèlement de la problématique phobique traitée. Dans le contexte rigide dans lequel vit le patient, l’adaptation à de nouveaux repères structurants doit se faire progressivement. Le symptôme aide à ce que cette transformation thérapeutique ne se fasse pas trop vite.

La suite la semaine prochaine...
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