mercredi 9 juillet 2014

La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques (Partie 3)











Les narrations systémiques opérantes dans les échanges thérapeutiques


Tout au long de l’entretien, le thérapeute s’applique à redéfinir, sous un angle opérant, la réalité douloureuse de son interlocuteur. Proposer au consultant une approche positive, fonctionnelle, contenante et logique de son trouble, c’est opérer un recadrage opposé au sens commun. Cette technique d’intervention active fait résonance chez un sujet en manque de repères et d’ouverture. Il puise dans ce nouveau regard porté sur son vécu le sens qui se faisait manquant et la pleine conscience de sa « bonne » nature. Ce recadrage valorisant et éclairant lui donne le moteur et la confiance d’avancer et de trouver ses solutions.

LE RECADRAGE PARADOXAL

Recadrer, c’est inviter les patients à interpréter différemment les ressentis et situations vécues. Le thérapeute tisse progressivement une trame cohérente entre le fonctionnement, l’histoire du sujet et l’utilité de ses troubles tout au long de l’entretien. La redéfinition systémique souligne le double pôle paradoxal du symptôme, son aspect contraignant et utile. C’est là l’essentiel de son effet surprenant et donc opérant.

Recadrage paradoxal des situations
Le souffrant n’est pas assez égoïste : il porte le stress groupal. La crise est une opportunité afin d’avancer : La position sacrificielle du patient devient intenable. Le sujet est obligé de s’appliquer à une meilleure différenciation par rapport à son système. Le symptôme est fonctionnel : il permet le non changement structurel d’un système craignant toute transformation.

Le souffrant est admirable dans ses capacités d’endurance et la force déployée face aux épreuves : Ses symptômes mettent en relief des ressources et des compétences considérables dans cet excès d’étayage et de générosité vis-à-vis de son système. Le vrai patient n’est pas celui qui est face au thérapeute : Le patient, en tant que régulateur homéostasique, camoufle les dysfonctionnements de son système.

Le hasard n’existe pas : Le symptôme et les imprévus divers, s’inscriraient comme des résistances au changement et non comme un hasard.

Recadrage paradoxal de l’évolution
Il n’y a pas d’avancement sans résistances : La pathologie vient révéler le système fermé dans lequel elle s’exprime. Selon les propriétés d’autoconservation rigide de ces systèmes, chaque transformation sera soumise à des résistances signifiantes à l’intérieur de cette organisation.

La résolution d’une problématique s’amorce par une recrudescence des symptômes : Les résistances au changement massives, du début de la transformation, renforcent la virulence du symptôme dans ses fonctions régressives et d’inertie.

Le patient doit avancer lentement durant un temps de crise : Son désengagement d’une place attitrée dans un système rigide doit se faire progressivement afin de respecter le rythme d’adaptation très lent de cette organisation d’appartenance. Le patient doit s’éloigner pour se confronter : Le souffrant doit pouvoir se ressourcer loin de son groupe lorsque le remaniement de ses fonctions relationnelles à l’intérieur de celui-ci engendre des résistances systémiques déstructurantes.

Recadrage paradoxal des émotions
Un vécu émotionnel désagréable peut être thérapeutique : Les affects douloureux, tels que la colère, la honte, la tristesse ou l’angoisse, peuvent faciliter le travail de différenciation du souffrant par rapport à son système.

Une force d’avancer nait des évènements douloureux : Le surplus de stress engendré par ce type d’événements peut suffisamment déstabiliser le fragile édifice défensif des systèmes fermés. Cette surtension oblige alors à une réorganisation salvatrice pour l’ensemble de l’unité.

Recadrage paradoxal de la distanciation
Le lien fusionnel sépare : La non différenciation entrave les capacités d’adaptation des membres du groupe qui y sont soumis. La tension croissante intrasystémique risque alors de provoquer l’éclatement de l’unité.

La confrontation permet la libération : Le désengagement bruyant de la place de « patient désigné » dans un système fermé conduit au retour progressif du bien être pour chacun de ses membres.

Recadrage paradoxal des représentations
Le patient détient le savoir : Le souffrant a accès au matériel psychique dénonçant les jeux relationnels dysfonctionnants de son groupe. Par conséquent, il détient les clés pour résoudre le manque de différenciation de son système.

Le patient donne énormément au soignant : le souffrant partage son expérience relationnelle et il met ainsi en relief les règles systémiques. Le thérapeute s’enrichit, au fil des histoires différentes de ses patients, d’une meilleure compréhension de la fonction du symptôme. Il n’y a ni victime, ni coupable dans un problème rencontré : l’interdépendance des systèmes, dans un mouvement synchronique et interactif, annule tout point d’ancrage linéaire dans la naissance d’une tension.

LE RECIT DIDACTIQUE

Par ses connaissances théoriques et son expérience clinique, le thérapeute peut élargir le regard du patient sur son vécu, celui-ci étant pris dans des narrations figées. Il invite à une redéfinition des relations à l’entourage, de l’histoire passée, des évènements, des comportements, des émotions, des expressions défensives. Il sensibilise aux particularités de certains processus systémiques ignorés du patient. Le récit didactique est ainsi à fort potentiel d’ouverture car il permet au souffrant d’intégrer des notions psychologiques essentielles. Ce savoir oriente sur un champ des possibles par les représentations nouvellement offertes et sur lesquelles il va être possible d’élaborer des solutions.

Voici quelques exemples de récits didactiques à effet illocutionnaire :

Récits didactiques sur la fonction du symptôme
L’angoisse comme indicateur d’une volonté de changement ; l’angoisse comme possible révélateur de changements positifs brutaux ; le symptôme comme support à l’angoisse ; le symptôme comme fonctionnel.

Récits didactiques sur les limites du champ médical
Les traitements chimiques comme aide mais non comme solution au travail d’élaboration psychique ; le diagnostic du souffrant : un frein à son avancement,

Récits didactiques sur la richesse et la complexité du processus de deuil
Le vécu de deuil n’a pas de règles dans son expression ; le mouvement dépressif est une tentative d’élaboration et d’acceptation du changement.

Récits didactiques sur le décodage du langage humain
La parole est un outil de manipulation ; les mécanismes défensifs révèlent les peurs et fragilités d’une personne ; le corps parle et donne les solutions.

LE RECIT MIRROIR

Le récit miroir représente le récit systémique de la guérison de certains patients à d’autres souffrants. Les auditeurs puisent dans les solutions originales, trouvées par leurs pairs, la manière d’extraire de cette lecture interactionnelle une forme d’inventivité personnelle. Le thérapeute joue sur ce fort potentiel identificatoire des « récits en miroir » pour motiver le patient à s’engager dans le même processus d’avancement. Effectivement, constater de l’heureux dénouement d’une problématique, lorsque le symptôme a été travaillé sous un angle contextuel, motive fortement le patient dans la même démarche.

Le souffrant saisit les règles systémiques à respecter dans le démantèlement d’un conflit. Les récits en miroir permettent d’illustrer concrètement la manière dont s’expriment les résistances au changement dans le système. Ce témoignage aide le souffrant à ne pas être déstabilisé par ces phénomènes systémiques inconnus. Il permet de mieux s’ajuster aux dynamiques bruyantes de l’avancement.

LES MOUVEMENTS PSYCHIQUES FAVORISES DURANT L'ENTRETIEN SYSTEMIQUE


Le travail à partir des ressources et compétences du patient
L’approche systémique ouvre facilement à ce travail valorisant puisqu’il s’agit de faire réfléchir sur l’utilité d’un symptôme et sur la trop grande générosité du souffrant. Il est percutant de pointer et d’expliquer le paradoxe du sacrifice du patient, de l’excès de soumission dans les actes auto et hétéro-destructeurs. A porter excessivement le stress de son groupe, il devient malade. Ses qualités exceptionnelles d’endurance et de dévouement doivent être mises en relief par le soignant. Elles témoignent de compétences et d’une énergie indiscutables afin de sortir de toute problématique ! De plus, le souffrant détient, dans ses symptômes, la clé de l’énigme pathologique. Il pointe, en effet, dans ses maux les rigidités systémiques. Il dénonce la manière dont la maladie évite le réaménagement de codes archaïques dans son groupe. Ainsi, la douleur du souffrant aide au diagnostic des dysfonctionnements relationnels l’impliquant. Elle est alors un appel au changement et une grille de lecture salutaire afin de désamorcer des dynamiques interactives lourdes voire dangereuses sur du long terme.

Le travail de différenciation
Comme nous l’avons vu ci-dessus, ce travail consiste à aider le souffrant à discerner ses manques de ceux d’autrui. Cet éclairage lui permet d’élaborer ce qui lui revient et de confronter autrui à ses responsabilités propres. Cette délimitation est nécessaire afin de ne pas céder au découragement. Le patient ne s’embourbe pas dans des actions vaines. Non paralysé par un sentiment d’impuissance, il peut alors se mettre à distance émotionnelle pour faire ses choix personnels tout en respectant les fragilités d’autrui.

Le travail du soignant sur la maitrise de ses propres problématiques
L’interprétation paradoxale ne peut être pertinente que dans la prise en compte des propriétés systémiques traversant « l’organisation thérapeutique ». En effet, cette relation d’aide met en présence deux sous-systèmes distincts soignant/soigné s’inter-influençant. Le fonctionnement de cette unité relationnelle constituée est soumis à des repères de rééquilibrage plus ou moins rigides selon les problématiques non élaborées de chacun des adhérents. Ce constat est important afin de mettre en relief la nécessité pour le soignant de cerner ses fragilités et ses zones d’indifférenciation. Leur reconnaissance l’aidera à les neutraliser afin qu’elle ne parasite pas le travail d’individualisation du souffrant. Par exemple, un aidant, peu affirmé dans ses relations, risque de glisser sur une même problématique s’exprimant chez le souffrant s’il ne prend pas conscience de ce manque.

CONCLUSION

Ainsi, le système thérapeutique réunit le patient et le soignant dans un travail de co-partenariat actif leur donnant une position symétrique. Le savoir du patient est aussi signifiant que le savoir du soignant. Ce dernier détient une certaine maitrise des données de Sciences Humaines mais le premier a accès au contexte le plus pertinent à établir pour faire opérer cette pensée de l’aidant. L’intérêt de ce partage est de créer une complicité où chacun osera questionner, détailler, approfondir, découvrir. La censure de l’histoire relationnelle n’existe pas. L’interdépendance des systèmes et son analyse laissent peu de place au hasard !


Pour relire la deuxième partie :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/07/la-puissance-therapeutique-des.html

Pour relire la première partie :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/06/la-puissance-therapeutique-des.html