dimanche 29 mars 2015

Vidéo interview | retranscription partie 4/5

















4e partie de la retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Finalement la nature humaine est bien faite !
C’est pourquoi le sous-titre de mon livre est intitulé « le patient est un soignant qui s’ignore » ! Le symptôme met en relief le problème et facilite sa résolution. Le souffrant détient les informations précieuses et les clés pour le changement.

Le soignant n’a pas le savoir, il est un guide qui va aider au décodage du rébus symptomatique pour respecter les conditions de l’avancement. Il est question de réfléchir en co-partenariat Patient/soignant au sens du symptôme et à ce qu’il indique de la manière de cheminer dans la résolution du trouble.

D’ailleurs, dans les maux psychotiques, l’aidant devrait être plus attentif à rentrer dans les délires et les hallucinations du souffrant. Ses symptômes révèlent systématiquement dans une symbolique indirecte la problématique réelle et la manière de la démanteler. Rien n’est figé, pour moi les structures pathologiques figées n’existent pas, il n’existe que des dysfonctionnements ébranlables même si dans les problématiques lourdes le chemin évolutif est long et passe par de nombreux temps de crise structurants même si fragilisants ponctuellement.

Mais pourquoi, à votre avis, ce que vous décrivez des processus de guérison est si peu assimilé par les soignants ?
Tout simplement, parce que le soignant est son propre outil de travail. Il ne peut être que parasité par ses propres problématiques personnelles s’il n’a pas conscience de celles-ci ou s’il ne les travaille pas suffisamment.

Finalement, toutes ces règles psychiques énoncées sont entendues par le corps médical tant qu’elles sont abordées sur un territoire clinique qui ne réveille pas ses problématiques. À partir du moment où la situation pathologique fait écho aux fragilités du soignant, l’accompagnement thérapeutique va être biaisé.

Exemple, un aidant non assez affirmé va étouffer des élans d’émancipation salvateurs chez le patient. Il va donc censurer un mouvement de progression essentiel. Une infirmière intrusive dans sa relation à ses enfants ne saura pas accompagner un parent étouffé dans ses choix personnels par son entourage.

Bref, l’histoire systémique du soignant influence sa capacité à analyser de manière constructrice une situation clinique. La qualité de la prise en charge dépend donc du propre niveau de différenciation des soignants. Il doit être dans un bon équilibre entre individuation et appartenance à ses systèmes.

D’ailleurs, la question qui me semble pertinente à poser lorsqu’on recrute dans le milieu médical est celle-ci : « Accepteriez-vous de vous poser régulièrement dans un espace subjectivé afin d’être supervisé sur des situations cliniques difficiles et afin de réfléchir à ce que cela réveille de vos propres problématiques ». Même si ce cadre de travail imaginé ne se met pas en place concrètement, la réponse du soignant à cette proposition permet d’avoir accès à ses capacités d’introspection, de remise en question et de travail sur les manques.

Si la personne est réceptive à cette façon de travailler, vous pouvez être assuré qu’elle dispose des qualités émotionnelles et relationnelles nécessaires à un bon accompagnement thérapeutique ! Elle est prête à se centrer sur ses propres fragilités pour aider le souffrant à sortir des siennes. Lorsqu’elle est en difficulté dans une prise en charge, elle ne fuit pas défensivement et stérilement dans une projection excessive de ses failles sur celles du patient.

Pensez-vous alors que c’est la peur de l’homme à se confronter à ses propres problématiques qui lui fait associer trop souvent des faits, des accidents, des symptômes au hasard ?
J’en suis persuadée ! L’incompréhension de certaines situations est liée à un manque d’approfondissement du contexte dans lequel elles sont nées. Pourquoi ces pseudo-aléas  ne sont pas assez analysés me direz-vous ? Tout simplement parce qu’ils renvoient à des nœuds fragilisants évités inconsciemment par son observateur.

Plus un individu maitrise ses problématiques, plus il entrevoit clairement la manière dont certains hasards malencontreux sont des résistances au changement signifiantes. Ainsi, j’ai regroupé différents types d’imprévus prenant sens selon la nature de la crise dans laquelle ils s’inscrivent.

Dans la crise graduelle, nous retrouvons comme pseudo-hasard l’angoisse, les somatisations chroniques, les troubles psychiques chroniques, les conduites pathogènes, les effets secondaires des traitements.

Dans la crise finale, nous relevons le suicide, la prise de risque grave, les maladies somatiques graves, les maladies mentales lourdes, les accidents graves ou les réactions secondaires dangereuses aux médicaments.

Enfin, dans les crises accidentelles, il se retrouve les maux somatiques, les actes manqués, les lapsus, les conduites exagérées.

Schématiquement, la crise graduelle appelle à des changements, mais le souffrant peut encore régresser sur ses anciens modes défensifs lorsqu’il a suffisamment récupéré. Dans la crise finale, la saturation psychique est optimale, le sujet est obligé de changer radicalement ses repères pour continuer le chemin. Dans la crise accidentelle et ponctuelle, le souffrant a entamé le processus de changement et vit des tensions importantes à chaque remaniement de ses codes.

Ainsi, tous ces pseudo-hasards présentés ne sont que des variations d’intensité différentes d’opposition au  remaniement de dynamiques fonctionnelles rigides.

L’angoisse est une tension née du tiraillement entre deux mouvements pulsionnels antagonistes, entre force d’avancement et force autoconservatrice.

Les accidents, les somatisations ou les prises de risque résultent de blocages évolutifs signifiants.

Les effets secondaires au traitement apparaissent souvent comme résistance à des bouleversements organiques et psychiques trop importants engendrés par la molécule chimique. Cette réalité homéostasique est également très importante à souligner afin que le monde médical soit vigilant au contexte de vie d’un sujet lorsqu’il prescrit un traitement.

Donc, les graves effets secondaires et passages à l’acte liés aux psychotropes suivraient une logique systémique. Ils seraient déclenchés par l’interdépendance entre les systèmes internes et externes du sujet.
Oui, exactement, selon le niveau de rigidité du milieu externe et du fonctionnement interne du souffrant, les traitements ne vont pas engendrer le même type de réactions chez lui.

Le médicament n’inhibe pas que les systèmes internes souhaités. En effet, si le système nerveux peut être moins sensible, le système cognitif aussi. Ce fait est très ennuyeux, car l’élaboration d’une problématique rigide réclame des conditions d’attention, de raisonnement et d’intégration suffisante. Il ne faut pas oublier que la tension interne est le carburant nécessaire afin de dénouer des dysfonctionnements lourds.

Chaque remaniement, sur un terrain auto-conservateur, entraîne des résistances au changement signifiantes. C’est le principe systémique. Donc, si on supprime, de manière chimique et artificielle, une pression psychique trop forte, l’inconscient ne peut pas répondre autrement à la demande de détente, dans l’immédiat, qu’en convoquant les pulsions de mort.

En effet, la résorption des contraintes douloureuses ne peut se dénouer que très lentement et dans la tension. La progression entraîne, d’ailleurs, comme nous l’avons souligné, une recrudescence des symptômes dans les premiers temps de l’avancement. Selon les propriétés des systèmes bloqués, les grands changements fonctionnels, même si positifs, provoquent des oppositions lourdes dans les débuts de l’adaptation !

Le dénouement d’une pathologie signifiante passe obligatoirement par des temps de crise, révélateur de résistances naturelles et importantes à tout processus inconnu loin du familier. Si on essaie d’obtenir le démantèlement de la contrainte dans l’urgence, l’inconscient ne trouve qu’une seule solution : la mort !

Cette vision systémique révolutionne la façon dont les médecins doivent prendre en charge la douleur psychique !
Le soignant est si bienveillant qu’il souhaiterait soulager son patient rapidement, mais, dans les pathologies lourdes, il faut qu’il accepte que ce n’est pas possible. La guérison passe au contraire par des mouvements aigus nécessaires.

Ainsi, en augmentant les doses, il n’est pas rare de constater que ce qui avait voulu être évité se manifeste : la catastrophe ! Certes, il faut essayer de soulager du mieux possible en proposant des doses raisonnables qui n’endorment pas complètement la tension nécessaire à l’élaboration.

De même, des traitements ponctuels comme les anxiolytiques neutralisent des ressentis aigus réactionnels à un remaniement brutal et prégnant. Ils n’entravent pas, comme les traitements de fond lourds, une paralysie continue de la réflexion. Ils peuvent ainsi soulager un peu dans l’immédiat. Toutefois, une tension significative doit perdurer pour que le sujet ne règle pas son mal dans le recours à une inertie totale.

La suite la semaine prochaine...
Cliquez ici pour voir la vidéo interview dans son intégralité.


dimanche 22 mars 2015

Vidéo interview | Retranscription partie 3/5

















3e partie de la retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Dans les prises en charge de malades psychotiques, observez-vous ces phénomènes assourdissants de l’avancement ?


Oui, tous les jours. C’est pourquoi, il faut être vigilant à bien contenir ces phases fragilisantes de démantèlement d’une problématique. Il ne faut pas oublier, que dans les pathologies lourdes, le travail à une meilleure différenciation est délicat, car la tension est optimale lorsque le sujet tente de bousculer le plus minime code d’enchevêtrement à son système. Toutefois, la contenance du cadre thérapeutique et la réassurance donnée au patient du côté légitime de ce bruit de l’avancement protègent de bien des régressions et des découragements paralysants.

C’est là où l’on voit toute l’importance que les soignants aient bien connaissance de cette logique de guérison !

Cela, c’est certain, car si le professionnel induit l’idée trompeuse que ces temps de désorganisation passagère sont anormaux, alors le patient se sentira en état de confusion et ne trouvera aucune autre voie d’avancement, logique, il n’y en a pas d’autres ! Il puisera dans la démotivation du soignant ses propres ressentis d’impuissance. Il abandonnera alors toute tentative d’émancipation, pourtant le seul médicament à son mal et aux dysfonctionnements de ses systèmes d’appartenance.

Finalement, sans s’en rendre compte, le monde soignant rejouera une dynamique relationnelle pathogène avec lui. Il censura un mouvement identitaire vital chez un sujet dont la fragilité est de ne pas assez l’énoncer dans ses groupes d’appartenance ! La problématique se répète une nouvelle fois dans le cadre thérapeutique et perdure !

Le souffrant est donc obligé de passer par ces temps et comportements excessifs lorsqu’il se libère de graves déficits relationnels ?

Oui, j’ai l’habitude de comparer le souffrant en plein avancement à un apprenti débutant. Il peine dans l’intégration de nouveaux repères. Il ne peut les mettre en place, au tout début, que de manière grossière.

Si nous résumons grossièrement, le propre de ce qui définit le malade, c’est de trop porter le stress de ses systèmes soit en s’enchevêtrant à eux, soit en s’en dégageant excessivement. Donc lorsqu’il avance, il apprend à s’affirmer, c’est-à-dire, à protéger mieux ses espaces personnels lorsqu’il les sacrifie trop ou à ne pas fuir ses groupes d’appartenance lorsqu’il s’isole trop. Toutefois ces dynamiques nouvelles ne peuvent pas être facilement maîtrisées au départ.

Le souffrant n’assume pas encore ces changements nouvellement mis en place. Il peut tenter inconsciemment de les saboter, en les discréditant, dans l’excès de leur expression ! Ainsi, la personne peu affirmée devient exagérément colérique ou maladroite dans ses liens lorsqu’elle commence à régler son problème. Une jeune femme devient volage lorsqu’elle sort d’une relation fusionnelle à son mari. Une épouse masochiste se rend sadique avec autrui dans les débuts de sa rébellion. La personne isolée étouffe les siens dans les débuts de ses rapprochés. Le discret se transforme en individu sans gêne.

Bref, un peu comme celui qui apprend à conduire, la nuance n’est pas encore là ! De plus, l’excès de retenue antérieure de ces émotions et comportements trop longtemps enfouis entraine leur libération massive dans les débuts de leur manifestation. C’est tout le stock pulsionnel de ce qui ne s’est pas suffisamment exprimé dans l’histoire du sujet, qui revient à la charge de manière démesurée. Cela peut être la colère, la haine, l’autonomie, la légèreté, le lâcher-prise, la méfiance. Donc, tout ressenti exagérément censuré d’antan.

Progressivement, l’expérimentation et la répétition du nouvel apprentissage en cours faciliteront son intégration et le réglage des bonnes nuances. L’assimilation d’une différenciation laborieuse est à ce prix !

Vous mettez en relief la manière dont l’impatience et une trop grande exigence de résultats immédiats constituent des obstacles signifiants dans une prise en charge pertinente d’une pathologie.

Oui, cette attitude néfaste se retrouve aussi bien chez le malade que dans son environnement. Les résistances à l’avancement sont internes et périphériques. Le souffrant doit lutter contre ses propres paralysies et celles des autres. Ainsi, il y a des règles d’exposition à ne pas brusquer. Comme nous l’avons vu auparavant, l’élaboration d’une problématique doit respecter des principes topographiques : ne porter que ses responsabilités et fragilités.

L’avancement passe également par des règles temporelles. Le souffrant est dans une phobie d’individuation. Ses symptômes en sont l’expression. Il doit donc s’exposer lentement et progressivement à son problème pour le régler. Une confrontation trop rapide à ses peurs risque autrement de le faire fuir. L’exercice d’adaptation continue serait trop épuisant émotionnellement pour être efficace. Chaque élan de différenciation réclame en effet une énergie considérable pour faire face aux résistances auto-conservatrices. La tension engendrée par des changements trop brutaux amplifierait les symptômes déjà existants et paralyserait le souffrant.

Plus le rythme est lent, plus les possibilités évolutives sont facilitées. Autre paradoxe important, il est naturel de constater une recrudescence des symptômes dans les débuts de l’avancement.

Oui, l’exposition nécessaire à ses peurs crée une tension interne qui vient s’ajouter à celle condensée dans le symptôme !

C’est pourquoi, il est important de rappeler la légitimité de ses règles psychiques si décourageantes lorsque le sujet veut se désengager de fragilités signifiantes. Averti, il ne se décourage pas et ne rebrousse pas chemin.

Il est conscient que ce processus est naturel. J’attire souvent l’attention des souffrants sur le fait qu’autrefois il avait mis en place instinctivement cette dynamique de transformation positive. Toutefois le bruit des symptômes et la stigmatisation de ses systèmes d’appartenance lui ont fait douter du caractère constructif de sa démarche. Il s’est alors arrêté dans son élan structurant.

Les récits systémiques, proposés en séance, l’aident à réaliser qu’il doit poursuivre cette trajectoire sinueuse et éprouvante s’il souhaite ne plus s’enkyster dans son problème. Il est plus facile de continuer le parcours lorsque l’on sait que c’est le seul chemin et qu’il va aboutir à la résolution des nœuds. J’ai l’habitude de donner comme exemple des récits miroirs pour illustrer ce processus paradoxal.

Je compte souvent l’histoire d’un patient qui a vu sa sciatique s’aggraver lorsqu’il a commencé à travailler sa problématique. Son handicap dénonçait un rythme de vie effréné sans espace de lâcher-prise. La pathologie avait pour fonction de ralentir un sujet là où il se mettait en danger. Il était ainsi obligé de travailler sa problématique de contrôle excessif grâce au symptôme. Toutefois, le début de la résolution du trouble ne pouvait pas s’opérer sans accentuation des douleurs. En effet, l’intégration bénéfique d’un meilleur rythme, nécessitée par la présence du handicap, provoquait dans les premiers temps de cette progression des régressions symptomatiques lourdes. La tension interne s’accentuait, car même si les changements étaient positifs, ils n’en demeuraient pas moins dans leur nature des remaniements profonds suscitant d’intenses résistances au changement. La sciatique flambait parce que le souffrant aménageait les bons repères et que son corps s’opposait à cette nouvelle dynamique non habituelle. La tension corporelle augmentait et redoublait la sciatique. Ce n’est que lorsque le lâcher-prise fut devenu suffisamment familier que la douleur put se défaire progressivement. Les résistances au changement n’alimentaient plus et ne redoublaient plus les troubles.

Dans cet exemple, on réalise mieux la double valence antagoniste du symptôme, à la fois appel et résistance au changement. C’est cette ambiguïté qui crée la confusion et la difficulté à bien accompagner le souffrant.

Oui tout à fait le trouble sciatalgique dénonçait le problème et résistait aussi à sa résolution. Le symptôme oblige, indirectement, aux changements nécessaires là où le sujet ne parvient pas à les réaliser volontairement.

Le symptôme est aussi celui qui ralentit la progression par la charge autoconservatrice qu’il revêt. Il a une fonction de résistance au changement. Toutefois, si nous allons au bout de notre réflexion, nous nous apercevons que ce qui peut constituer d’apparence une dimension négative du symptôme n’en est pas une. En effet, le frein du handicap pathologique contribue à respecter un rythme modéré dans le démantèlement de la problématique phobique traitée. Dans le contexte rigide dans lequel vit le patient, l’adaptation à de nouveaux repères structurants doit se faire progressivement. Le symptôme aide à ce que cette transformation thérapeutique ne se fasse pas trop vite.

La suite la semaine prochaine...
Cliquez ici pour voir la vidéo interview dans son intégralité


lundi 16 mars 2015

Vidéo interview | Retranscription partie 2/5

















2e partie de la retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Ce regard interactif de la systémique nous rappelle que les comportements de l’homme ne peuvent pas se comprendre en dehors de leur contexte d’apparition !

Oui, c’est pourquoi une approche non complète de l’histoire de vie du souffrant n’a pas de sens. Plus les morceaux du puzzle contextuel et relationnel sont regroupés dans leur exhaustivité, plus il est facile d’accéder à une représentation claire de la situation d’ensemble.

À l’heure actuelle, les techniques thérapeutiques proposées sont trop parcellaires. Elles ne prennent en compte qu’un pan insuffisant des influences modelant les pensées et les comportements d’un sujet. Le souffrant détient les solutions à son problème, mais il n’en a pas conscience. En effet, il conserve dans sa mémoire un descriptif détaillé des jeux relationnels et transgénérationnels dans lesquels il est engagé. Il a, par conséquent, accès à ses zones d’indifférenciation et à celles de son système pour les travailler et s’en défaire. L’objectif de soins est de proposer une méthode d’intervention qui permet la restitution de ces informations communicationnelles résolutives.

L’efficacité de cette méthode s’étaye donc sur sa capacité à dévoiler le matériel relationnel dysfonctionnant et créant le symptôme?

Oui, en ayant accès à ces problématiques interactives, ces scénarios relationnels concrets, on a également accès à la manière de s’en dégager et d’éviter le stress condensé dans le symptôme ! Schématiquement, je dirai que le bien-être d’une personne tient à un bon équilibre entre son niveau d’individuation et son niveau d’appartenance à ses systèmes. Un solide appui identitaire sur ses groupes  mais également une protection narcissique, égocentrique de niveau égal sont les clés d’une vie harmonieuse.

Les problèmes surviennent lorsqu’un sujet est soit trop sacrificiel ou soit trop isolé de ses groupes. Ainsi, pour qu’il y ait une bonne gestion des distances relationnelles et des communications, il faut que la personne distingue ce qui relève de ses fragilités de celles d’autrui. Cela parait simple comme cela. Pourtant, les souffrances humaines découlent principalement de cette confusion dans les attributions des rôles.

En effet, une personne ne peut régler que ses propres problèmes. On voit là les conséquences d’une mauvaise compréhension des responsabilités. Si elle projette sur autrui ses failles, alors le nœud conflictuel ne peut pas se régler puisqu’il est abordé et travaillé au mauvais endroit. De même si la personne porte les tensions d’un autre, alors elle ne peut se sentir qu’impuissante puisqu’elle ne peut pas résoudre ce qui ne lui appartient pas ! Pendant ce temps-là, le concerné n’avance pas puisqu’il n’est pas confronté suffisamment à son problème porté par un tiers ! Cette règle psychique topographique semble couler de sens et facile de pratique. Ce n’est qu’une apparence, car vous pouvez être assuré que son application est systématiquement malmenée lorsque de lourds symptômes apparaissent chez un sujet.

Comment cela se manifeste concrètement ?

Par exemple, une maman enchevêtrée à sa fille peut porter sa douleur. Elle lui donne de l’argent  mais ce service ne fait que paralyser la résolution du problème, la fille paye sa dose d’héroïne avec. Elle évite ainsi de s’interroger sur son mal. Un conjoint projette ses manques sur sa femme en l’accablant de reproches. Il s’enfonce dans la violence et demeure éternellement insatisfait des efforts de celle-ci. Normal, son épouse a beau porter le stress de son mari. Elle ne peut réparer ses plaintes et ses blessures infantiles, car il les dit au mauvais endroit ! Donc, si vous reprenez l’histoire du souffrant, vous êtes garanti de trouver systématiquement, dans son passé et dans son quotidien, un panel d’exemples mettant en relief la toxicité de ses incorrects mécanismes d’attribution.

En déduction, si une personne est dans un bon équilibre entre appartenance et autonomisation, elle est dans un niveau constructif d’attribution des responsabilités et donc dans une analyse pertinente de la résolution d’un problème ?

Oui, exactement, ce qui lui permet de dénouer les problématiques individuelles et relationnelles lorsque celles-ci se présentent sur son chemin de vie. Bowen parlait de bon niveau de différenciation d’un sujet pour qualifier sa capacité à être lui-même tout en restant impliqué dans la relation. On retrouve ici cette compétence à se situer dans un ajustement harmonieux entre individuation et cohésion groupale.

Cette dynamique conduit à une répartition pertinente des tensions dans un système. Le partage cohérent du stress dans la relation libère ainsi d’un processus symbiotique ou au contraire de processus de rupture avec l’autre. Ces deux cheminements ne pouvant aboutir qu’à une fixation ou accentuation de la problématique ! En effet, l’étouffement stérile à porter le problème de quelqu’un ou l’évitement à regarder ses propres difficultés conduisent à une condensation croissante du stress dans des symptômes signifiants.

Donc disons schématiquement qu’un sujet bien différencié réduit considérablement ses risques de développer des symptômes !

Oui hier encore j’échangeais avec une personne en rémission d’un grave cancer. Cette évolution surprenante succédait à une réorganisation profonde de sa dynamique relationnelle. Durant sa thérapie, elle avait travaillé le lâcher-prise et une meilleure individuation. Elle s’était ainsi posée sur ses fragilités et ne les avait plus fuis. De même, elle avait appris à ne plus surprotéger son entourage pour ne pas le bloquer face à des confrontations nécessaires.

Ainsi, elle avait réglé sa problématique de trop grand contrôle et elle avait accédé à une authenticité communicationnelle en obligeant les siens à faire face à leurs propres rigidités. Pour moi, cette évolution inattendue n’est pas un miracle. Le stress, concentré dans sa tumeur au cerveau, s’est sans doute résorbé grâce à son élaboration et à sa résolution au bon endroit ! Le lourd symptôme a obligé à l’aménagement de défenses plus adaptées et à la reconfiguration de règles interactionnelles devenues dangereuses.

Dans cette logique contextuelle, on repère comment la pathologie physique ou psychique, malgré son caractère contraignant voire dangereux, s’inscrit comme volonté et élan d’avancement !

Ce phénomène paradoxal, c’est l’idée principale que je souhaiterais transmettre aujourd’hui  car cette prise de conscience est essentielle afin d’accompagner, de manière pertinente, le souffrant. Malheureusement, je constate, chaque jour, dans ma pratique combien cette réalité psychique est ignorée.

Les soignants comme les patients sont déstabilisés par le bruit des symptômes et de la crise. La douleur, la peur et le souci d’exigences parasitent les capacités de prise de recul par rapport au sens à donner aux troubles et à leurs intensités. Pourtant, l’analyse posée et réfléchie d’une situation chaotique nous donne les clés et les indices d’un dénouement possible. Plus une problématique est rigide, plus elle fait de bruit dans son démantèlement.

Des manques enkystés et devenus familiers depuis des années, voire des générations, ne peuvent se défaire que très laborieusement. Chaque minime adaptation à un nouveau code de fonctionnement, même positive, mobilise alors une énergie importante et des résistances au changement de la même ampleur. La pulsion d’inertie se traduit dans l’expression du symptôme paralysant.

Ainsi, plus les repères destructurants sont ancrés profondément, plus la pathologie est signifiante et dénonce les difficultés de transformation du système. Or s’il y a crise bruyante, c’est qu’il y a des résistances au changement et donc derrière des changements positifs que le souffrant met en place, vous me suivez ?

En fait le symptôme peut trahir la trace d’un élan d’individuation bénéfique ?

Oui, tout à fait, et plus l’épisode aigu est signifiant, plus il laisse entrevoir la rigidité des repères dysfonctionnels antérieurs que le souffrant souhaite bouger. Ce constat doit nous aider à réaliser un fait important : des fragilités signifiantes ne peuvent s’élaborer  et se dénouer que dans la tension, la désorganisation et l’inconfort. Elles ne peuvent pas se dissiper dans le silence et le calme.

Ainsi, les malades psychotiques rencontrent des étapes évolutives bruyantes à chaque mouvement discret de leur individuation. Cette réalité est d’autant plus importante à souligner pour sortir d’un biais important dans notre système de soins : la participation involontaire du monde médical dans l’étouffement de crises salvatrices.

Ainsi, des traitements chimiques trop lourds participent à la mort psychique du souffrant. Ces inhibiteurs entravent l’élaboration des problématiques. Certes, le patient est calme. Il devient un gentil malade stabilisé, mais ce que l’on a gagné ce n’est que du silence gênant. En effet, l’élan narcissique a été court-circuité par la petite molécule et le bruit de l’avancement ne s’est pas exprimé ! L’époque étouffe les phénomènes bruyants et prône le maintien du calme et de l’ordre. Difficile, dans ce contexte, de proposer une approche et une thérapeutique pertinente de la souffrance !

La suite la semaine prochaine...
Cliquez ici pour voir la vidéo interview dans son intégralité

dimanche 8 mars 2015

Vidéo interview | Retranscription partie 1/5

Interview video Adeline Gardinier partie 1/5

Retranscription de la vidéo interview d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck.


Bonjour Adeline
Bonjour Olivier, ce jour ne peut être que bon puisqu’il est l’occasion de transmettre, au travers de cette vidéo, des vérités thérapeutiques peu considérées, mais essentielles au bien-être de tous !

L’objet de cette interview est donc de transmettre au plus grand nombre vos observations et vos découvertes sur les processus psychiques conduisant à une dynamique harmonieuse ! Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours professionnel vous ayant mené à découvrir toutes ces clés thérapeutiques.
Oui, bien sûr, mon cursus étudiant est des plus communs. J’ai fait des études en psychologie clinique afin de répondre à un désir profond de mieux comprendre la souffrance humaine dans toutes ses formes, mieux la cerner pour aider à son dénouement.

Le diplôme en main, j’ai pu alors aménager le cadre expérientiel où j’allais rencontrer, dans leur intimité psychique, des personnes en proie à divers conflits internes. Elles m’ont systématiquement révélé le sens du symptôme et surtout sa valeur constructrice pour avancer ! Je n’ai donc pas dégagé ces outils d’aide de concepts théoriques même si ceux-ci m’ont beaucoup inspirée. J’ai simplement écouté l’histoire transgénérationnelle et relationnelle de nombreux hommes. Le recueil précieux de leur récit de vie, sur 15 ans, a permis de dégager des règles psychiques donnant la clé du rébus et du dénouement du symptôme !

Votre intérêt pour l’approche conceptuelle systémique, il y a quelques années, a-t-elle facilité la création de ce regard structurant sur les pathologies même les plus lourdes ?
Tout à fait, la rencontre avec cette vision contextuelle exhaustive, positive et dégagée de critiques inutiles sur la maladie m’a tout de suite fortement parlé en tant que thérapeute. Il s’agit de se centrer sur les apports et non sur les déficits du symptôme.

Lors de nos réunions de soignants, l’attitude trop fréquente à s’attarder sur ce que révèle la pathologie des manques du souffrant constitue une perte de temps et une aberration ! Comment travailler sur des déficits ? C’est impossible et stérile. Par contre, s’interroger sur l’utilité et la signification du symptôme conduit systématiquement à une thérapeutique opérante.

Dans le milieu médical, il est une réalité inquiétante, car habituelle : le soignant réfléchit, généralement, la douleur et la commente dans sa dimension bruyante et désorganisée. Il est alors démotivé puisqu’il ne peut pas s’appuyer sur des diagnostics et des descriptifs déficitaires pour accompagner de manière pertinente le malade. Ainsi, la systémique aide à développer cette logique de pensée constructrice, ouvrant le champ des possibles.

Pouvez-vous nous donner un exemple concret de cette manière pertinente d’appréhender la maladie pour s’en libérer ?
J’aurai plusieurs exemples à vous proposer. De façon assez raccourcie, je vous dirai que le symptôme est abordé dans son utilité individuelle et relationnelle. Ainsi, les consultants rencontrés cessent d’être bloqués dans leur cheminement lorsque l’un découvre que sa lourde sciatique est une protection narcissique pour ralentir un rythme de vie dangereux, lorsque l’autre réalise que son apparente folie est une façon de sacrifier sa vie psychique pour protéger les valeurs mythiques rigides de son groupe d’appartenance. Des parents sortent de leur paralysie lorsqu’ils abordent les otites à répétition de leurs fils comme un moyen de les faire cesser de se disputer.

Bref, le symptôme est décodé dans sa fonction protectrice pour le souffrant lui-même et pour son entourage. Il perd alors sa dimension péjorative pour révéler tout son sens bienveillant. Cette connotation valorisante du symptôme a des résonances signifiantes sur la nouvelle dynamique du souffrant. Il découvre que ses conduites symptomatiques sont généreuses, utiles et cohérentes là où il pensait jusqu’alors être égocentrique, insensé et impuissant !

C’est là où nous retrouvons la composante paradoxale et surprenante des récits thérapeutiques tenus aux patients ? C’est certainement ce point qui en fait une force de changement ?
Oui, je me surprends, durant les entretiens, à m’écouter parler et à réaliser que mon discours hors du commun est tellement plein de bon sens ! Non pas que je sois gonflée d’un narcissisme hypertrophié, mais parce que je pense simplement que l’impression paradoxale, se dégageant de cette narration thérapeutique, découle d’une méconnaissance importante de l’homme sur ses déterminants systémiques !

Lorsqu’on garde, en effet, en permanence à l’esprit le fait que l’homme est inclus dans divers groupes d’appartenance, il est plus facile de réfléchir son symptôme comme un moyen de réguler des changements non acceptés et non intégrés par ces mêmes groupes d’appartenance.

Dans les systèmes souples, les ajustements aux stimuli nouveaux se font sans problème. Il n’y a donc pas besoin d’avoir recours au symptôme pour maintenir, à tout prix, l’équilibre et l’unité identitaire d’antan. La pathologie se retrouve exclusivement dans les systèmes rigides, là où des traumatismes collectifs plus ou moins lointains empêchent toute adaptation nécessaire. Le manque de sécurité et l’absence d’élaboration des chocs passés entrainent une paralysie d’ajustement au sein du système. C’est un vrai problème, car la vie n’est que mouvement et donc engendre des rééquilibrages permanents.

Un système fragilisé redoute le changement et craint d’être annihilé par lui. Le symptôme d’un membre apparait alors pour éviter toute transformation signifiante de l’organisation de son groupe perçue, de manière erronée, comme une menace pour la cohésion du groupe.

La suite la semaine prochaine...
Cliquez ici pour voir la vidéo interview dans son intégralité