Retrouvez mon article : « La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques » dans la revue « le journal des psychologues (Adeline Gardinier/Mai 2014).
Depuis quinze ans,
l’échange thérapeutique avec des personnes en situation de crise se révèle
d’une grande richesse. Il est né de ces rencontres singulières et authentiques
une technique d’intervention active pertinente dans ses effets cliniques.
« L’interprétation paradoxale » se présente ainsi comme un outil de
lecture opérant de l’histoire du souffrant. Les regards systémiques, paradoxaux
et analytiques se combinent dans un mouvement synchronique et intégratif afin
d’offrir une narration constructive de la problématique rencontrée. La nature de ces rencontres est
complètement modelée par le raisonnement systémique. En effet, chaque pan de
l’histoire du sujet est réfléchi selon la place que celui-ci tient dans ses
systèmes. Les récits proposés au consultant sont alors une restitution du sens
à donner à son vécu et à ses symptômes sous l’angle de cette approche
contextuelle.
Le sens du symptôme dans un système
Schématiquement, un système est un ensemble d’éléments en interaction
ayant un but commun. Un système ouvert échange de l’information et de l’énergie
avec l’extérieur. Il communique donc avec d’autres systèmes. Ainsi, l’homme, la
famille ou un groupe peuvent être considérés comme
Toutefois, un système fonctionnel et souple est un système capable de
réorientation progressive, vers de nouveaux repères, lorsque des mouvements
périphériques le nécessitent. Il doit être capable de rétablir son équilibre,
de modifier sa structure en fonction des phénomènes qui l’influencent tout en
maintenant son identité dans des objectifs communs.
Dans la pensée systémique, le symptôme apparait dans des systèmes
rigides. Ces organisations sont caractérisées par leur incapacité à intégrer
les ajustements nécessaires à l’introduction des nouvelles données l’impactant.
Elles maintiennent les mêmes codes, le même point d’équilibre quel que soit les
changements bousculant son fonctionnement.
Le trouble du souffrant est alors appréhendé, dans une double valence
contradictoire. Il est, à la fois, un appel au changement mais également, dans
un mouvement opposé, une résistance au changement. Ce paradoxe met en lumière
toute la complexité du sens à donner à
la souffrance à chaque temps de l’histoire du patient. Le symptôme doit être
systématiquement décodé dans ses deux dimensions antagonistes afin de
comprendre la manière dont il trahit le milieu rigide dans lequel il s’inscrit.
Par exemple, la chute hystérique d’une adolescence dans les escaliers
peut traduire le besoin signifiant d’émancipation face à une famille close sur
elle-même ( le symptôme dans une fonction d’appel au changement). Dans un même
mouvement, ce passage à l’acte met en relief un comportement désadapté de la
jeune fille la stigmatisant et la freinant dans ses possibilités
d’autonomisation (le symptôme une fonction de régulateur homéostasique des
anciens repères du système).
La place du patient dans un système
La souffrance du patient est donc le résultat d’une tension interne
signifiante car condensant les stress de son système. Le sujet, dans ses
symptômes, porte les dysfonctionnements des siens. En raison de peurs refoulés,
lointaines voire intergénérationnels, son groupe a établi des représentations
figées sur la manière dont il doit fonctionner. Ces croyances inébranlables
sont donc destinées à se protéger de traumatismes anciens afin de ne pas les
revivre.
Par exemple, une famille, traversée au fil des générations par des
événements à connotation culpabilisante et honteuse, peut développer un mythe
de la perfection et du faire paraitre pour se désaliéner de ce passé
douloureux.
Il va construire des valeurs rigides à par de cette image symbolique qui le définit. Ces
repères identitaires sont donc handicapants car ils ne sont pas malléables. Ils
ne se modulent pas en fonction des divers mouvements vécus par le système.
Ainsi, les résonances émotionnelles, trace d’un passé indicible, paralyse le
groupe dans ses possibilités d’ajustement. Elles entravent toute modification
pertinente des codes sur lesquels repose l’identité du système. Cette
incapacité à faire évoluer sa définition, en fonction des influences qui la
traversent, engendrent un cumul des tensions en son sein. En effet, les
inadaptations croissantes sont sources d’une mobilisation d’énergies coûteuses
afin de les camoufler ou d’assumer leurs conséquences.
Le patient désigné est le membre présentant les fonctions de
réceptacle de ce stress d’inadaptation groupal. Il présente les attributs de
l’implication relationnelle excessive et de la captation entière des émotions
frustrantes externes. Si le symptôme
trahit cette générosité à porter les rigidités d’autrui, il s’agit alors de
redistribuer les responsabilités à l’intérieur du système.
Par exemple, l’enfant développant des symptômes peut, de cette
manière, éloigner ses parents d’un conflit conjugal naissant. Il les distrait
de leurs désaccords en concentrant leurs attentions sur ses douleurs. Le stress
est condensé sur ses maux et non plus à l’endroit des dysfonctionnements du
couple.
Le patient est ainsi le membre le moins différencié du groupe.
Rappelons que plus une personne est différenciée, plus elle est capable d’être
elle-même tout en restant engagé dans ses relations
proches. Le souffrant sacrifie ses choix personnels afin de répondre à un but
identitaire collectif. Il est celui qui dispose de la moins grande autonomie
émotionnelle et psychique puisque sa principale fonction est de camoufler les
fragilités de ses proches.
Guérir dans une désaliénation de son système
Dans
la logique systémique, l’amélioration des troubles doit passer par un
désengagement du patient de son rôle sacrificiel. Il doit acquérir une
délimitation suffisante de son espace personnel moins perméable aux tensions de
son système. Ce remaniement de sa place, au sein de son groupe, nécessite alors
qu’il soit capable de discerner ses propres manques de ceux de ses proches. La
différenciation de soi implique, en effet, le traitement adapté des situations
rencontrées sans parasitage des émotions et des dysfonctionnements externes. Le
patient peut seulement dénouer les conflits lui appartenant. Il doit ainsi
circonscrire ses fragilités et les élaborer. Il est également essentiel qu’il
repère et restitue aux membres de son système leurs failles respectives. Cette
clarification des rôles et des responsabilités, dans l’organisation groupale,
permet que les problématiques soient réglées au bon endroit. La confusion des
attributions de place conduit sinon à
une inadaptation croissante au sein de l’unité. Si le souffrant ne reconnait
pas ses incomplétudes, il les projette ailleurs et il ne les élabore jamais.
S’il prend à son compte les problèmes d’autrui, il entrave la nécessaire
confrontation du véritable impliqué avec ce qui lui appartient. Il empêche
alors la résolution d’un manque ne pouvant être comblé que par la personne
concernée. L’approche systémique met ainsi en relief l’importance d’une
répartition cohérente des énergies au sein du système. Le patient, dans un
travail thérapeutique, s’applique à déployer ses forces évolutives à l’endroit
de ses insuffisances et il veille à ne pas les concentrer ailleurs. Chaque
membre du groupe doit mobiliser ses propres dépenses énergétiques afin de se
défaire d’inadaptation personnelle.
La redistribution opérante du stress, au sein du système, oblige à une
remise en mouvement adaptative. Le patient est dégagé d’une surcharge anxiogène
et donc des symptômes la révélant. Bien sûr, l’intégration de cette logique
spatiale systémique doit être clairement explicité au souffrant afin qu’il
abandonne ses fonctions de condensateur de stress. Il faut jouer sur sa grande
générosité et sensibilité pour lui faire accepter que le bien-être, des siens
et de lui-même, passe par une meilleure différenciation de chacun. La gestion
des tensions doit se dérouler au bon endroit. Elle implique donc du souffrant
une non intervention sur différents registres relationnels. Elle oblige à un
apprentissage de fonctions moins enchevêtrées au groupe d’appartenance. Le
souffrant est confrontée à ses peurs de changement mais également à celles de
son système. Il a cette double mission de maitrise émotionnelle. A savoir, il
doit dépasser ses phobies et il doit témoigner à son système la permanence de
son attachement affectif. Cette stabilité relationnelle est difficile face aux
attaques des siens pour entraver le processus de transformation qu’il a induit
laborieusement. Cependant, il est important d’aider le consultant à maintenir
le lien avec son système pour contenir les angoisses d’éclatement identitaire
groupale. Celles-ci sont particulièrement intenses depuis l’amorce d’une
dynamique nouvelle chez le souffrant. La réassurance dans une cohésion
préservée, malgré les nouvelles données entrantes, permettra à l’ensemble des
membres d’accepter plus rapidement la restructuration de leur système.
La suite la semaine prochaine (partie 2) ....
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