Interventions thérapeutiques découlant de cette logique systémique
Le sens donné à la souffrance, sous l’angle de la systémique, est
inducteur de nombreuses règles d’intervention signifiantes à respecter dans le
bon accompagnement du consultant. Si l’avancement du patient nécessite que
celui-ci se désengage d’une fonction d’inhibiteur du changement au sein de son
groupe rigide, plusieurs dispositifs thérapeutiques sont à mettre en œuvre pour
faciliter cette dynamique.
Offrir
un cadre sécurisant pour oser penser le changement
La réussite du traitement réside dans la capacité du patient à se
désinscrire de fonctions indifférenciées dans ses systèmes d’appartenance. Ce
remaniement profond de sa place induit automatiquement des peurs, des doutes et
des résistances considérables au changement. La présentation d’un cadre
thérapeutique sécurisant est alors indispensable pour que le patient ose
expérimenter l’inconnu.
Proposer un cadre
chaleureux et confortable
Recevoir le patient dans un lieu, symbole d’ouverture,
d’authenticité et de bienveillance, est primordial. Si le soignant livre, le
premier, la sensibilité et subjectivité de son univers, au travers du cadre
présenté, alors le souffrant, rassuré de cette symétrie relationnelle, ose ce
que tout entretien veut induire : la levée de défenses rigides.
Assurer la
sécurité dans la solidité du cadre
La détermination du
thérapeute à assurer le maintien des conditions nécessaires au bon déroulement
d’un travail psychique est une qualité essentielle. Il met sa fermeté au
service de l’intérêt du souffrant. Il témoigne de sa solidité et de sa capacité
à affronter les moments de tension avec le consultant afin de le guider dans
l’avancement. Il est ainsi attentif à ce que celui-ci ne déborde pas le cadre
et respecte ses règles. Sa solidité doit donner le courage au souffrant de
défier ses peurs de transformation.
La dynamique
directive, attentive et rassurante du début d’entretien
Le consultant a besoin
d’une contenance et d’un guidage rassurant durant les premiers temps de
l’entretien. L’écoute flottante est à bannir des premiers échanges lorsque le
souffrant cherche dans le regard du soignant des points d’ancrage. En
hospitalisation, les premières attentions et paroles sont destinées à
questionner le patient sur son vécu actuel dans ce lieu de soins :
s’est-il facilement adapté aux repères nouveaux de ce cadre, est-il difficile
pour lui de vivre en groupe, dort-il ou mange-t-il bien ? parle-t-il
facilement aux infirmiers ? Est-ce que son entourage lui manque ?
Cette attitude soucieuse et maternante, durant ce temps de crise régressif, est
essentielle à l’instauration du lien.
Posture du thérapeute
pour induire le changement systémique
La connotation
positive du symptôme et l’attitude neutre induite par cette dynamique
La connotation positive consiste à considérer
favorablement les symptômes du souffrant en les reliant à l’objectif
bienveillant de maintenir la cohésion du groupe auquel il appartient. Le
système rigide et traumatisé a peur, de manière erronée, de tout changement de sa structure. Le
trouble apparait alors comme une résistance sacrificielle du patient
désamorçant toute réorganisation crainte
dans son clan. De même, les
comportements symptomatiques des autres membres du système sont également
énoncés dans une dimension positive, et dans cette intention d’union préservée
entre chacun d’entre eux. Tout le monde est inscrit dans un but commun
salutaire de protection de son identité groupale perçue comme menacée. La connotation
positive permet de solidifier le narcissisme du patient puisque ce qu’il
appréhendait comme critiquable, de son ressenti et de ses agissements, peut
être maintenant regardé sous un angle valorisant. En connotant également les
comportements symptomatiques de l’entourage comme bienveillant à l’égard de
l’ensemble du groupe, le souffrant peut se dégager de l’idée de ne pas être
aimé, apprécié, suffisant pour les siens. Il est le porteur de la pathologie
car il se présente comme le plus sensible et le plus généreux pour assurer
cette fonction d’autoconservation groupale. L’attribution des rôles, au sien du
système, s’est ainsi faite naturellement selon les personnalités en présence.
Le souffrant est acteur de ce choix et il a accepté implicitement cette
répartition des places. Grâce à la connotation positive du système dans son
ensemble, le thérapeute s’affiche neutre vis-à-vis de tous les membres.
Personne n’est présenté dans un jugement péjoratif.
La position basse
du thérapeute
La position basse du soignant
doit permettre de souligner le rôle de « guide » qu’il tient auprès
du consultant. Le thérapeute ne détient aucun savoir si ce n’est celui d’aider
le patient à trouver ses propres solutions.
Ses compétences résident dans une écoute exhaustive et une curiosité
entière pour les jeux relationnels dans lesquels il baigne. Ces aptitudes
permettent d’extraire les informations détenues par le souffrant et nécessaires
à la résolution du problème. Il se présente comme celui qui facilitera la
résolution de ces interrogations en reflétant au sujet la réponse singulière et
pertinente cachée derrière son discours systémique. La position basse favorise également
la complicité car elle permet d’accéder à des données supplémentaires.
Témoigner au sujet de notre manque dans l’incompréhension de ses dires ou de
ses émotions constitue un moyen d’investigation toujours plus étendu. Il permet
de multiplier les opportunités du dévoilement d’un matériel psychique
signifiant. Manifester ses manques et fragilités, c’est autoriser implicitement
le consultant à faire de même. Par mimétisme, il découvre qu’exprimer ses
failles est, non un handicap, mais une force d’avancement. Seuls ceux qui
reconnaissent leurs imperfections peuvent apprendre et grandir. Enfin,
restituer au sujet sa position centrale dans ce travail thérapeutique est
renarcissisant durant un temps où l’identité est fragilisée. La personne
intègre dans ce mouvement toute sa valeur et la responsabilité de ses actes et
de son existence.
Le thérapeute est
dans la curiosité du détail
L’analyse concrète et
exhaustive des jeux interactionnels est essentielle à la compréhension de la
souffrance du sujet. Elle permet de cerner les zones d’indifférenciation du
patient. Cet éclairage donne les repères afin d’accompagner le souffrant dans
une solidification de son individuation. Ils révèlent les séquences défensives
et comportementales à modifier, du côté du patient, afin de se désengager de sa
fonction de patient désigné. L’investigation approfondie sur les données
communicationnelles vérifiables est protégée du biais des interprétations
subjectivées de son locuteur. Par conséquent, ces informations mettent en
relief la manière dont les conflits intérieurs du patient déforment le
descriptif de la nature des échanges. Grâce à l’enquête détaillée sur les
conduites verbales et infraverbales de chacun, le thérapeute peut détecter les
dysfonctionnements individuels et communicationnels. Par exemple, l’étude
concrète des jeux relationnels peuvent mettre en relief que celui qui se dit
« méchant » est un homme non affirmé qui commence à mettre des
limites à ses enfants, que celle qui se dit « mythomane » est une
personne qui camoufle la problématique de jalousie excessive de son mari. La
dichotomie entre l’appréciation du patient et la réalité interactionnelle est
la voie indéniable d’accès à sa problématique.
L’humour du
thérapeute
L’humour favorise la
mise en lien et défie les peurs phobiques. Elle respecte, bien sûr, le
caractère douloureux de certaines thématiques mais elle a toutefois pour
ambition de rappeler la dimension profondément humaine de toute chose. Ainsi,
le thérapeute peut exagérer, caricaturer certains traits de personnalité,
défensifs, certains actes et pensées du patient afin de créer un temps d’une
bienveillante attention et dérision. Il pointe alors la problématique enkystée
derrière ces comportements rigidifiés et redondants. Des provocations enjouées
telles que « Vous et votre symptôme de Jésus Christ », « Sans
blague, c’était à peine prévisible de votre part ! » aident à
relativiser pour mieux se confronter au problème. L’humour peut être également
exprimé en adoptant une position d’humilité. Rire de soi et de ses manques
permet de transmettre au consultant une vision positive de la liberté offerte
dans la reconnaissance de son incomplétude. Rire, c’est défier la peur du
manque et accepter qu’être vivant, charmant, intéressant, c’est justement ne
pas être parfait. L’humour crée alors un temps de complicité où deux personnes
partagent leurs fragilités. Le vécu d’une relation asymétrique durant
l’entretien s’estompe alors. L’identification au thérapeute peut opérer et
permettre l’intégration plus aisée des différents processus psychiques
encouragés durant les séances.
La provocation du thérapeute
L’attitude provocatrice peut être une manière
d’utiliser le paradoxe et l’exagération dans son sens thérapeutique. Le
soignant utilise cette forme communicationnelle afin de transmettre son
irritation bienveillante face aux comportements démesurés et sacrificiels du souffrant
à l’intérieur de son système.
« Non, non, dans
l’intérêt de votre famille, je pense qu’il serait plus profitable de ne pas
sortir de votre dépression ! »
« Vous n’y pensez
pas qui va s’occuper de votre mari si vous travaillez à
l’extérieur ? »
« Ne changez pas,
la jalousie de votre femme mérite bien que vous développiez de l’agoraphobie
pour ne pas l’inquiéter avec des sorties futiles ! »
« Continuez à vous
jeter dans les escaliers, car tant que vous êtes la malade, vous protégez votre
maman de sa peur de votre autonomisation, je pense que vous avez raison il est
mieux de vouer toute sa vie à son parent ! »
« Cher enfant, combien te payent tes
parents pour chaque caprice les distrayant de leur dispute ? »
Le thérapeute favorise les temps d’intensité émotionnelle
Le symptôme porte la
trace d’un contrôle et d’un refoulement excessif. Il doit alors se combattre en
encourageant un lâcher-prise sur les émotions signifiantes traversant
l’entretien. Pour cela, il faut repérer les épisodes narratifs de la séance
particulièrement émouvants pour le consultant. Un panel de questions peuvent
être posées sur cette thématique sensible afin de s’y attarder et de créer un
déploiement de l’émotion en cours d’émergence. Il peut être demandé de
détailler la scène interactive de l’évènement éprouvant, les affects ressentis
à ce moment singulier. Le thérapeute aide le consultant à prendre conscience de
l’impact émotionnel de certaines scènes durant les remémorations traumatiques.
Le thérapeute peut
également favoriser les temps d’intensité affective en utilisant la métaphore
« du petit enfant intérieur ». Il encourage un dialogue entre
l’adulte souffrant et la part infantile résonant en lui. Cette confrontation
est importante afin de transformer le rapport entre ces deux facettes
identitaires trop souvent clivées. Aider le patient à écouter, à comprendre, à
valoriser celui qu’il a été enfant, est opérant. Sans cette reconnaissance de
cette interinfluence des deux systèmes (adulte/enfant), l’être immature,
frustré et non entendu, n’aura de cesse de s’exprimer et de parasiter son
chemin d’adulte.
Le thérapeute
accepte et contient les régressions nécessaires à l’élaboration
Le souffrant, sur les sentiers de l’avancement, est
soumis à la complexité des forces régressives. La guérison implique le
démantèlement d’une posture d’indifférenciation campée. Ce remaniement
nécessite de profondes transformations. Il induit donc des résistances au
changement de la même ampleur. Le bruit de la douleur et la contrainte
éprouvante de son éradication oblige le souffrant à traverser des temps de
régressions signifiants. Le thérapeute ne doit pas être surpris de ces épisodes
chaotiques et impressionnants parcourant la destructuration d’une problématique
rigide. Il doit assurer la constance d’un cadre sécurisant, solide et contenant
dans lequel peut se réaliser ce travail psychique intense. Sans cette capacité
du soignant à garantir un cadre résistant à toute épreuve, la contenance d’un
premier mouvement régressif, nécessaire à l’engagement dans un processus
secondaire de transformation, risque d’être entravé. Il faut par exemple
savoir contenir, sans réprimer, des
mouvements agressifs excessifs durant les premiers temps d’apprentissage
maladroit d’une affirmation positive.
La suite la semaine prochaine (Partie 3)
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