lundi 22 décembre 2014
mardi 9 décembre 2014
La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 3/3
Le diagnostic systémique libéré des risques de mauvais traitement du diagnostic nosographique
L’alliance thérapeutique est l’ingrédient indispensable à l’établissement d’une prise en charge pertinente. La preuve solide de cette réalité réside dans le fait que des outils systémiques efficaces (tels que la pensée circulaire, la recherche de la fonctionnalité du symptôme, la maîtrise des phénomènes temporels paradoxaux du temps de crise) n’auraient jamais pu être inventés si ce co-partenariat médical n’avait pu exister.En effet, l’analyse exhaustive de l’histoire du patient et son savoir exprimé sur les jeux interactionnels dans ses systèmes d’appartenance ont permis de dégager des principes thérapeutiques importants. Ils ont permis de se désengager d’une pensée linéaire biaisée pour s’ouvrir à une pensée circulaire plus parlante. Chaque partie du système s’influence mutuellement. Chacun est agi par l’autre et agit sur l’autre dans un même mouvement.
Donc si une action produit une réaction alors cette réaction, en retour, peut modifier cette action originaire dans un même mouvement. Ce savoir sur l’interdépendance des comportements, des émotions, des croyances, des représentations entre les êtres humains offrent une vision cohérente de la réalité. Il permet de déduire le sens du symptôme. De ce fait, il donne les pistes de travail afin de substituer au trouble du patient une solution moins sacrificielle afin de rééquilibrer son système.
Le diagnostic linéaire, se référant à une description figée des symptômes et des maladies, offre peu de possibilités d’avancement. Certes, il met en avant une information scientifique sur la nature du manque. Il requiert en cela la participation aidante du soignant. Par contre, l’implication du patient est nécessaire afin de donner sens à ce manque.
Chaque histoire est unique et ne peut être réduite à une classification sur les déficits. Le diagnostic nosographique entrave la prise de connaissance du récit de vie singulier des personnes rencontrées. Il conduit aux stéréotypes, au non-recueil d’informations dans leur exhaustivité. Il influence les regards et mène trop souvent à l’impasse thérapeutique. Le souffrant a tendance à s’enfermer dans un mouvement passif lorsqu’il décode sa souffrance à partir d’une nosographie. Il ne s’approprie pas sa douleur et l’attribue à des facteurs extérieurs et non maitrisables. Il se fige alors dans sa problématique de manière victimisée « Si je n’étais pas bipolaire, cancéreux, je pourrai faire tant de choses ! ».
Ce discours parasite les possibilités d’avancement du sujet, non conscient de sa position d’acteur par rapport à son devenir. Seule une analyse profonde de l’histoire et du fonctionnement du sujet révèle les chemins à emprunter afin d’ouvrir un champ des possibles. Il n’y a pas un récit entendu qui n’ait dévoilé son sens et la légitimité de ses protagonistes lorsqu’il a été élaboré.
Chaque défense, réaction, ressenti, jeu relationnel, pensée, comportement, délire, symptôme sont, potentiellement, interprétables lorsqu’ils sont associés aux éléments historiques et contextuels périphériques leur donnant sens. L’importance de se livrer à une enquête détaillée concernant le vécu du consultant est alors primordiale. Cette narration guidée, par le thérapeute, donne les clés à son auteur. En échangeant, le patient découvre une logique et une pertinence à son fonctionnement et ses dysfonctionnements.
Le diagnostic nosographique fait, de ce fait, obstacle au déploiement de ce récit singulier puisqu’il généralise là où il faut encourager la mise en mot d’un vécu individuel. Sans cette dynamique d’expression, le consultant ne peut accéder aux raisons de ses actes et ressentis et par là même il ne peut trouver ses solutions. Il doit comprendre pourquoi ses anciennes stratégies défensives ne sont pas opérantes. La narration impliquée de son histoire permet une mise en lien génératrice de sens. Ainsi, il ne faut pas oublier d’envisager le diagnostic linéaire dans sa dimension défensive afin d’éviter l’enfermement dans des processus thérapeutiques schématisés non opérants.
Le diagnostic systémique est opérant dans la mesure, où le sujet est amené à travailler le problème à partir de ses richesses et de ses compétences. En effet, le symptôme est envisagé dans sa dimension pleine et non dans sa dimension manquante (contrairement au diagnostic nosographique linéaire). Il est appréhendé dans sa connotation informative. Il renseigne sur les dysfonctionnements communicationnels. En cela, il livre les solutions au problème. Il permet de rechercher d’autres moyens non symptomatiques pour pallier aux défaillances relationnelles qu’il met en relief.
Le paradoxe thérapeutique né de processus adaptatifs laborieux
Un système d’appartenance à ne pas négliger, dans le système thérapeutique, constitue le système d’adaptation au changement. Sa prise en compte est essentielle afin d’assurer la bonne marche de la prise en charge. En effet, les lois d’intégration de la nouveauté dans un cadre familier sont importantes à maîtriser afin d’aménager une dynamique d’aide pertinente. La prise en compte du système d’ajustement évite bien des biais temporels et d’appréciation. Des grands principes paradoxaux tels que la recrudescence des symptômes dans le début de leur résolution, la nécessité de l’introduction progressive de nouveaux schémas défensifs, se dégagent de la considération de ces propriétés systémiques.Le symptôme, appel au changement, s’accentue dans les premiers temps de sa résolution puisqu’il intervient comme force opposée à la transformation. Dans la dynamique systémique, la recrudescence des troubles dans les débuts d’un traitement s’éclaire. Ce regard élargi permet au soignant de considérer les régressions comme des processus naturels sur le chemin d’avancement. Cette information évite bien des découragements du côté des soignants et des patients. Elle permet surtout d’être attentif à la nature et l’intensité des résistances contextuelles afin d’adapter le degré et la forme d’intervention thérapeutique.
En effet, plus le patient est dans une rigidité de transformation existentielle signifiante, plus l’élément étranger du traitement devra être intégré progressivement lorsque cela est possible. La systémique donne les codes d’un partenariat pertinent entre patient et soignant. L’écoute du souffrant dans son histoire de vie permet de comprendre la manière dont s’articulent ses troubles à ce vécu de crise. Elle donne les clés afin de respecter le rythme plus ou moins phobique du patient dans sa confrontation au changement. Cet ajustement est lui-même associé aux capacités adaptatives du sujet à réorganiser ses fonctions dans ses systèmes d’appartenance. Le symptôme vient en effet révéler la rigidité du déséquilibre, les transformations interactionnelles signifiantes auxquelles le sujet doit se confronter et le rythme d’avancement.
Les résonances personnelles de l’aidant dans le système thérapeutique
Un dernier système très important à prendre en considération dans la démarche « bientraitante » est le système représentationnel de l’accompagnant. Ses croyances et Ses divers schémas de pensée, construits sur son histoire de vie, vont en effet impacter l’évaluation du traitement mis en place. Les interférences communicationnelles, engendrées par l’irruption du miroir déformant des problématiques non réglées de l’aidant, vont alors entraver la compréhension clinique de ce qui est vécu dans « l’ici et maintenant » de la relation thérapeutique.Cette réalité met en relief l’importance de ne pas négliger les fragilités personnelles de l’écoutant et leur résonnance dans le système thérapeutique. Pour cela, il est essentiel que les aidants disposent d’outils de travail indispensables tels les supervisions et les groupes de parole. Seuls les temps de partage interpersonnel, de centration sur ses résonances internes, de prise de recul, d’analyse groupale permettent une étude pertinente des situations cliniques. Ils évitent le biais des déformations personnelles de l’accompagnant et l’écho émotionnel trop bruyant de certaines prises en charge. En effet, les dysfonctionnements du sujet fragilisé peuvent réveiller les propres fragilités de son interlocuteur. Dans cette dynamique, il est essentiel de proposer un espace où l’aidant pourra réfléchir à la manière dont ses manques personnels parasitent le soin.
Pour donner davantage support à la manière dont ces projections internes peuvent être signifiantes dans la qualité d’un suivi, voici quelques pistes de réflexion. Le sujet soutenant peut, entre autre, induire chez le souffrant des mouvements indifférenciés handicapants lorsqu’il présente une problématique d’affirmation non dénouée. Il peut éprouver des difficultés à suivre des souffrants au fonctionnement limite, hystérique, obsessionnel s’il est parasité par les résonances d’un conflit antérieur avec des protagonistes de même personnalité. Il peut occulter, dans ses échanges thérapeutiques, des informations importantes sur la fratrie, la relation de couple, l’attachement aux enfants si ces liens sont sensibles dans son histoire de vie. Il peut encore s’enfermer dans une évaluation stérile et critique des symptômes, expression d’une névrose non réglée !
Cette série d’exemples n’est qu’une ébauche furtive de la manière dont les résonances contraignantes de l’aidant peuvent parasiter les suivis. Ces illustrations diversifiées sont destinées à mettre en relief la manière dont l’histoire personnelle de l’accompagnant, dans ses dimensions obscures, peut facilement impacter la qualité des prises en charge ! Cette réalité clinique est souvent occultée. Le corps médical est pris dans un paradoxe d’intervention.
Le soignant est son propre outil de travail. Il ne peut donc être compétent avec ses patients que s’il est un bon aidant vis-à-vis de lui-même. En effet, il doit guider le souffrant dans la prise en charge de ses dysfonctionnements. Il doit, pour cela, être capable de repérer ses propres fragilités et les maîtriser s’il ne les a pas encore dénouer. Il est indéniable que s’il n’a pas cette disposition, ses problématiques personnelles impacteront la qualité du suivi. Une des bases éthiques est donc de s’engager dans cet exercice de soin avec la motivation essentielle à travailler ses manques. Le recrutement des soignants devrait pouvoir s’étayer sur cette condition indispensable.
La politique actuelle est loin de l’aménagement prioritaire d’espaces de réflexions et d’introspection pour tout soignant. La société est piégée dans des principes erronés, des objectifs de rendement, de performance et d’urgence. Le biais temporel est là encore le principal acteur de cette dichotomie entre soin et travail. Le respect, donné au temps nécessaire à la réflexion avant d’agir, demeure un point capital à toute possibilité d’avancement. A quoi sert de se perdre dans une production inopérante car non élaborée ? La dimension de soin souligne encore plus l’importance d’un travail dans le bon rythme. L’efficacité médicale est intriquée au paradoxe temporel.
Plus les soignants lâchent prise, plus ils prennent le temps et le recul nécessaires afin d’analyser les situations cliniques, plus ils peuvent proposer des prises en charge pertinentes. La systémique met, ainsi, en relief la composante ralentie du soin : Plus de réflexions, moins d’actions pour de meilleurs soins et un meilleur travail.
Conclusion
Pour terminer, je voudrais simplement vous raconter une anecdote :Un médecin justifie l’abandon d’une prise en charge par le fait que le patient ne lui parle pas. Il reproche à la psychologue d’entretenir une relation privilégiée avec le souffrant. A la question de sa collègue « Lui poses-tu des questions, comment t’intéresses-tu à son histoire de vie ? », il répond « non parce qu’il ne parle pas ! »
Est-ce que cette anecdote vous aide à repérer les compétences essentielles de deux experts : celui qui détient les informations indispensables et celui qui sait les faire dire pour proposer une grille de lecture pertinente. La consultation partagée est alors au cœur de la réussite de l’acte de bientraitance ! Selon moi, il ne peut pas se concevoir une attitude d’aide, de respect, d’attention et d’implication positive auprès d’une personne fragilisée sans cette réflexion contextuelle et systémique !
lundi 1 décembre 2014
La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 2/3
Un exemple clinique signifiant : le cas de Monsieur X
Le Docteur D avait exprimé une incompréhension et un réel désœuvrement lors d’une décompensation délirante de Monsieur X, un de ses patients dépressifs chroniques. Alors qu’il exprimait une inquiétude importante pour celui avec qui il avait construit une alliance thérapeutique solide, je ne pouvais m’empêcher de commencer à espérer une vie meilleure pour ce patient. Certes, le chemin serait dangereux mais la rébellion de son psychisme marquait qu’il ne pourrait plus jamais emprunter les voies défensives chaotiques d’antan.Le souffrant serait dorénavant obligé de faire face à ses fantômes inconscients afin de retrouver le bien être. Une psychothérapie de deux ans permit ce dénouement. Le patient passa par des étapes douloureuses et déstabilisantes. Il ne pouvait, en effet, se désengager très lentement d’une « manie psychique » héritée des anciens, pathologiquement défensive, et en lien avec une histoire familiale trigénérationnelle complexe. La retraite et le départ des enfants avaient sans nul doute étaient des événements du cycle de la vie dangereusement précipitants mais paradoxalement constructifs durant ce réveil d’authenticité !
Monsieur X avait, dans son parcours de vie, traversé un grand nombre d’épisodes dépressifs. Les traitements signifiants administrés, à chaque temps aigu, lui avaient permis de récupérer un état de stabilité suffisant à la reprise des modalités de fonctionnement anciennes. Toutefois chaque période pathogène, soignée par ce leurre chimique, ne faisait qu’accentuer la problématique sous-jacente et rigidifier les dysfonctionnements ! De la même façon qu’un virus devient plus résistant aux médicaments lorsque le contexte environnemental de sa prolifération n’est pas suffisamment maîtrisé par les humains, un conflit interne s’enkyste davantage si les systèmes d’appartenance dans lesquels il se développe ne sont pas assez considérés. La camisole chimique est ainsi autant pour le virus que pour la souffrance psychique un remède éphémère ! La douleur morale est condamnée à s’intensifier si son contexte d’expression n’est pas traité !
Ce parallèle métaphorique est donc destiné à souligner l’importance d’une approche exhaustive d’un problème afin de l’appréhender de manière pertinente. Un regard trop médicalisé sur la maladie mentale conduit au non-sens, voire à l’accentuation des troubles !
Une aide pertinente respectant le rythme phobique du souffrant
L’état de tension massif, dans une problématique saturée, doit très lentement diminuer pour que l’élaboration de ce conflit interne puisse s’opérer. Chaque remaniement psychique mobilise un stress indispensable au dépassement du changement. Faire baisser trop rapidement la charge résistante, c’est se priver de l’ingrédient anxiogène indispensable à une adaptation progressive. Si la tension diminue trop vite, le souffrant ne dispose plus du carburant suffisant à l’élaboration du problème.L’apaisement immédiat, dicté par le sédatif, ne peut alors se traduire que dans la pulsion de mort puisqu’il n’est pas possible d’effectuer ce soulagement psychique instantané par un travail introspectif express ! Le psychisme ne peut se mettre au diapason de cet état physiologique chimiquement apaisé qu’en s’inhibant totalement dans un sommeil profond : la mort. En effet, à partir du moment où la pensée fonctionne à minima, il ne peut y avoir que dissonance déstabilisante entre un mental non délivré de ses angoisses et un corps décontracté. Puisque le souffrant ne peut se libérer aussi rapidement de ses tensions conflictuelles, puisque des remaniements psychiques longs sont nécessaires, la guérison imminente dictée par la petite molécule ne peut trouver cohérence que dans le recours à l’inertie psychique totale ! La demande paradoxale de guérison dans la tension se trouve dans cet unique dénouement mortel trouvé par la psyche.
Sachant que dans la problématique très rigidifiée d’une crise enkystée, chaque mouvement minime d’avancement positif suscite un stress intense, le chemin est long et périlleux avant d’atteindre un nouvel équilibre stable et non contraignant.
Ma réflexion s’est davantage posé sur le traitement médical des troubles mentaux dans la mesure où mes patients souffrent plus de pathologies psychiatriques. Toutefois, je rencontre également des consultants atteints de maladies somatiques lourdes. La considération par les soignants, de la manière dont ces malades se positionnent dans leurs systèmes d’appartenance, est tout aussi importante dans la qualité de la prise en charge proposée.
Cette co-construction thérapeutique du sens du symptôme, dans le contexte où il est apparu, permet d’extraire les fragilités défensives du patient afin de ne pas les alimenter au travers d’un dispositif médical non adapté.
Ainsi, le système thérapeutique réunit l’aidant et l’aidé un travail de co-partenariat leur donnant une position symétrique. Le savoir du patient est aussi signifiant que le savoir de l’accompagnant. Le premier détient la maitrise des sciences humaines, le deuxième a accès au contexte le plus pertinent à établir pour faire opérer la pensée de l’autre. L’intérêt de ce partage est de créer une complicité où chacun osera questionner, détailler, approfondir car la censure de l’infériorité n’existe pas.
Les bienfaits d’une position basse ou symétrique de l’aidant
La position actuelle de l’aidant est malheureusement souvent ancrée dans un paternalisme révélant ses fragilités narcissiques. Les réunions cliniques sont remplies d’exemples où les fragilités du consultant sont systématiquement abordées. Par contre, les manques et les remises en question du soignant sont quasi absents. Ce constat souligne une réalité alertante. L’aidant ne s’autorise pas à apprendre et à à être curieux pour découvrir le plaisir d’avancer et de donner.Les diagnostics nosographiques envahissent le discours des médecins lors des échanges cliniques. Ils révèlent le besoin de réassurance dans des schémas assez rudimentaires. Ils mettent surtout en relief la phobie des soignants à affronter leurs manques. Si la connaissance sur les processus psychiques n’en est qu’à ses balbutiements, c’est bien que l’homme a peur de se pencher sur ses fragilités. En effet, le fait de travailler les lacunes oblige systématiquement à un apprentissage et donc à un avancement. Le problème n’est donc pas le manque. Il est au contraire nécessaire à tout désir, à toute pulsion vitale. Le principal biais est la phobie de l’homme à élaborer ses failles. Ses groupes d’appartenance ne transmettent pas suffisamment l’idée d’un droit de défaillir, de la nécessité d’ailleurs de ne pas être parfait.
Au contraire, la société actuelle le presse davantage de tout maîtriser et de tout réussir ! Cette attitude systémique a de lourdes résonances puisqu'elle entrave le processus d’évolution de l’homme. Cette pensée alimente les fragilités narcissiques humaines puisqu’elle entretient l’idée délirante que le savoir doit se construire de façon innée et non sur des bases déficitaires. Ainsi, la stratégie défensive inconsciente, face à cette honte du manque, est de la projeter sur autrui. Les soignants comme les patients doivent apprendre à légitimer leurs faiblesses mais ils doivent aussi apprendre à refuser de les dénier. C’est la condition pour intégrer un savoir constructif.
La position basse adoptée avec les consultants depuis plus de 15 ans m’a ainsi permis d’apprendre énormément. En effet, la capacité à reconnaître ses manques se traduit par une curiosité importante et une application constante à se remettre en question. Ainsi la compétence, à co-construire avec le patient des représentations systémiques structurantes, s’est étayée sur l’acceptation de mon inexpérience originelle. L’acceptation d’afficher une image de non expert auprès du patient a permis de questionner et de recueillir les informations nécessaires à la compréhension de nombreux processus psychiques.
L’investigation approfondie de l’histoire singulière de chaque consultant aide, en fait, à saisir la pertinence de la pensée systémique lorsqu’elle s’applique à ‘individu. Chaque jour, j’apprends car chaque jour le consultant livre une histoire de vie permettant d’élargir mon champ d’horizon sur les lois communicationnelles du bien-être. Le consultant a la solution dans son problème. Il détient le savoir essentiel. Le regroupement de nombreux récits de patients met, en effet, en relief des règles universelles à dégager du fonctionnement humain. Le soignant, fort de ce partage avec un grand nombre de souffrants, pourra alors aider ceux-ci à décoder leurs fragilités défensives.
Ainsi, chacun participe à la construction d’un savoir qui fait avancer. Le patient et le soignant puisent, mutuellement, dans les connaissances de l’autre les clés de l’avancement thérapeutique. Cette évolution ne serait donc pas possible si l’information n’était recherchée que d’une manière unidirectionnelle. Il faut, en effet, à la fois la grille de lecture du soignant et le témoignage de l’expérience intra et inter-subjective des patients.
La suite de cet article (3e et dernière partie) la semaine prochaine...
lundi 24 novembre 2014
La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 1/3
Introduction
La pensée systémique a pour ambition d’approcher les différents champs d’influences déterminant l’individu dans son fonctionnement. Ce regard exhaustif sur l’histoire du sujet garantit un confort éthique indéniable. Il évite les biais de la déformation, de l’injustice et de la confusion dans l’appréhension d’une situation fragilisante. La bientraitance passe, selon moi, par cette approche globale des systèmes. Celle-ci permet, en effet, une reconnaissance et une compréhension « bienveillante » des manques contraignants vécus par une personne.Les systèmes sont des ensembles d’éléments en interaction formant une unité et œuvrant à un but commun. La famille, le corps ou le groupe sont des sous-systèmes et des systèmes dans lesquels l’individu est inclus. Leur fonctionnement impacte les réactions de celui-ci. Ainsi, la prise en compte de ces facteurs dans l’histoire d’une personne amène à considérer ses fragilités sous un angle singulier.
Selon les propriétés homéostasiques, la difficulté survient à une période de déséquilibre systémique. Il indique un appel au changement mais aussi, dans un même mouvement, des résistantes signifiantes à ces changements. Ainsi, les diverses propriétés d’un système attribue au symptôme une place fonctionnelle. Le trouble est défini comme un besoin de changement dans un système rigide et en déséquilibre. Il traduit également des résistances signifiantes à ces changements. Dans ce cadre contextuel, le trouble perd sa dimension illogique pour révéler tout son sens.
L’individu puise dans cette lecture des pistes de réflexion sur la manière pertinente de traiter ses fragilités. Cette approche met en relief la nécessité d’un partenariat étroit entre l’aidant et l’aidé. Le consultant détient, en effet, les solutions au problème dans l’histoire de son parcours de vie et dans le récit de ses manques. Il est le seul à avoir les informations pertinentes permettant de comprendre l’apparition, l’évolution et les possibilités d’extinction des troubles. En effet, les jeux interactionnels du souffrant avec ces différents groupes d’appartenance permettent de repérer la manière dont le stress de ses systèmes se condense sur lui. Le trouble physique ou psychique s’inscrit alors comme un signal d’alarme traduisant la nécessité d’une meilleure redistribution des tensions, trop condensées sur le souffrant et pas assez sur son groupe.
Le handicap est donc contraignant mais il est aussi utile sous l’angle de la systémique. De façon paradoxale le symptôme permet à long terme un réajustement plus adapté des fonctions du souffrant dans ses groupes d’appartenance. Sa dimension résistante permet, en effet, d’assurer un changement très progressif. La brutalité de la nouveauté, entraînerait autrement des pulsions régressives et hostiles fort handicapantes.
Le chemin de l’avancement reste toutefois dangereux car les changements signifiants engendrés par l’apparition de la pathologie peuvent créer, transitoirement et au tout début, une tension optimale attisant des pulsions morbides et mortelles L’assimilation de la contrainte pathologique peut engendrer un tel stress ponctuel que les fonctions d’ajustement progressives et positives, rendues possible par le symptôme, n’ont pas le temps de s’exprimer immédiatement dans leur valeurs salvatrices.
Les grandes lignes systémiques de la bientraitance
Dans ce cadre d’une observation systémique, l’accompagnant a une grille de lecture pertinente afin d’étayer la personne en difficultés. En effet, cette dynamique systémique permet de dégager des principes essentiels dans l’approche d’une posture de bientraitance:-Le symptôme est fonctionnel et il survient à un moment de nécessaires mais de difficiles réaménagements de la place du souffrant dans ses systèmes.
- La résolution du symptôme passe par sa recrudescence dans les débuts du traitement (sous l’effet des résistances au changement).
- Le traitement du symptôme ne doit pas être invasif car une caractéristique essentielle du symptôme est d’être une phobie du changement.
Ses repères systémiques mettent en relief l’importance d’un partenariat étroit entre l’aidant et l’aidé afin de démanteler les résistances symptomatiques. L’information pertinente est détenue par le souffrant. Lui seul sait où cela résiste en lui. L’écoute attentive de l’accompagnant permet de circonscrire la zone phobique et de la prendre en considération dans les décisions thérapeutiques prises. En effet, le système physiologique est intriqué aux autres systèmes externes du souffrant. Les réactions au traitement sont donc dépendantes du vécu singulier du sujet, de ses défenses et de son contexte de vie actuelle.
Cette réalité remet au centre des préoccupations d’aide la dimension temporelle de l’accompagnement :
- La qualité de la prise en charge est associée à une écoute attentive, exhaustive de l’histoire permettant de repérer les fragilités systémiques du patient. La compréhension suffisante des rigidités fonctionnelles du sujet participent à proposer un cadre adapté à ses capacités d’avancement.
- Le démantèlement des symptômes doit se poser progressivement et lentement pour ne pas déchaîner les résistances au changement.
- Le bon accompagnement demande également une implication importante de l’aidant dans un travail d’introspection et de supervision personnelle car il fait partie intégrante du système thérapeutique. Il doit pouvoir maîtriser ses manques afin de ne pas les faire porter au souffrant avec qui il est en interdépendance systémique.
Ainsi, la pathologie ou les vulnérabilités diverses parlent des dysfonctionnements interactionnels du souffrant. Elle met, par conséquent, en écho les problématiques personnelles non réglées de l’aidant. Elle attise alors les résistances inconscientes de chacun (aidant/aidé) à l’élaboration des vrais manques. L’accompagnant est son propre outil de travail. La difficulté de son exercice est d’accepter que sa compétence passe par un travail et un soin sur soi.
Dans une société piégée dans le rendement et la performance, il trouve malheureusement trop souvent matière afin de fuir, dans l’action, ses parties vulnérables. L’aidant est alors pris dans le paradoxe « d’un soin qu’il veut mais qu’il ne peut pas donner ».
Soigner, bien-traiter, c’est s'occuper du bien-être d’une personne vulnérable, être attentif à prévenir ses besoins et ses désirs. Or, l’aidant, non conscient de ses propres faiblesses, ne peut décoder les moyens pour parvenir à satisfaire son patient. L’outil systémique est alors un formidable stimulant pour aider à repérer où sont les manques, qui doit les travailler et à quel rythme afin d’être dans une prise en charge co-constructrice aidant/aidé la plus opérante possible.
La suite de cet article la semaine prochaine...
mardi 29 juillet 2014
Interview vidéo
Interview vidéo d'Adeline Gardinier, psychologue clinicienne et psychothérapeute, auteur du livre "Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique" publié aux éditions De Boeck en septembre 2013.
Spécialiste de la thérapie systémique et des thérapies familiales, cette interview vidéo permet de découvrir les concepts fondamentaux de la méthode psychothérapeutique originale proposée.Adeline Gardinier a également publié plusieurs articles sur le thème de la thérapie systémique dans Santé Mentale, le Journal des Psychologues, le Cercle Psy et participe également à des groupes de travail sur ce même thème (notamment Blogarat).
Libellés :
Adeline Gardinier,
Aider le patient à sortir de la crise,
interview vidéo,
méthode psychothérapeutique,
psychologue clinicienne,
psychothérapeute,
psychothérapie,
symptôme fonctionnel,
systémique
Pays/territoire :
Compiègne, France
mercredi 9 juillet 2014
La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques (Partie 3)
Les narrations systémiques opérantes dans les échanges thérapeutiques
Tout au long de l’entretien, le thérapeute s’applique à redéfinir, sous un angle opérant, la réalité douloureuse de son interlocuteur. Proposer au consultant une approche positive, fonctionnelle, contenante et logique de son trouble, c’est opérer un recadrage opposé au sens commun. Cette technique d’intervention active fait résonance chez un sujet en manque de repères et d’ouverture. Il puise dans ce nouveau regard porté sur son vécu le sens qui se faisait manquant et la pleine conscience de sa « bonne » nature. Ce recadrage valorisant et éclairant lui donne le moteur et la confiance d’avancer et de trouver ses solutions.
LE RECADRAGE PARADOXAL
Recadrer, c’est inviter les patients à interpréter différemment les ressentis et situations vécues. Le thérapeute tisse progressivement une trame cohérente entre le fonctionnement, l’histoire du sujet et l’utilité de ses troubles tout au long de l’entretien. La redéfinition systémique souligne le double pôle paradoxal du symptôme, son aspect contraignant et utile. C’est là l’essentiel de son effet surprenant et donc opérant.Recadrage paradoxal des situations
Le souffrant n’est pas assez égoïste : il porte le stress groupal. La crise est une opportunité afin d’avancer : La position sacrificielle du patient devient intenable. Le sujet est obligé de s’appliquer à une meilleure différenciation par rapport à son système. Le symptôme est fonctionnel : il permet le non changement structurel d’un système craignant toute transformation.
Le souffrant est admirable dans ses capacités d’endurance et la force déployée face aux épreuves : Ses symptômes mettent en relief des ressources et des compétences considérables dans cet excès d’étayage et de générosité vis-à-vis de son système. Le vrai patient n’est pas celui qui est face au thérapeute : Le patient, en tant que régulateur homéostasique, camoufle les dysfonctionnements de son système.
Le hasard n’existe pas : Le symptôme et les imprévus divers, s’inscriraient comme des résistances au changement et non comme un hasard.
Recadrage paradoxal de l’évolution
Il n’y a pas d’avancement sans résistances : La pathologie vient révéler le système fermé dans lequel elle s’exprime. Selon les propriétés d’autoconservation rigide de ces systèmes, chaque transformation sera soumise à des résistances signifiantes à l’intérieur de cette organisation.
La résolution d’une problématique s’amorce par une recrudescence des symptômes : Les résistances au changement massives, du début de la transformation, renforcent la virulence du symptôme dans ses fonctions régressives et d’inertie.
Le patient doit avancer lentement durant un temps de crise : Son désengagement d’une place attitrée dans un système rigide doit se faire progressivement afin de respecter le rythme d’adaptation très lent de cette organisation d’appartenance. Le patient doit s’éloigner pour se confronter : Le souffrant doit pouvoir se ressourcer loin de son groupe lorsque le remaniement de ses fonctions relationnelles à l’intérieur de celui-ci engendre des résistances systémiques déstructurantes.
Recadrage paradoxal des émotions
Un vécu émotionnel désagréable peut être thérapeutique : Les affects douloureux, tels que la colère, la honte, la tristesse ou l’angoisse, peuvent faciliter le travail de différenciation du souffrant par rapport à son système.
Une force d’avancer nait des évènements douloureux : Le surplus de stress engendré par ce type d’événements peut suffisamment déstabiliser le fragile édifice défensif des systèmes fermés. Cette surtension oblige alors à une réorganisation salvatrice pour l’ensemble de l’unité.
Recadrage paradoxal de la distanciation
Le lien fusionnel sépare : La non différenciation entrave les capacités d’adaptation des membres du groupe qui y sont soumis. La tension croissante intrasystémique risque alors de provoquer l’éclatement de l’unité.
La confrontation permet la libération : Le désengagement bruyant de la place de « patient désigné » dans un système fermé conduit au retour progressif du bien être pour chacun de ses membres.
Recadrage paradoxal des représentations
Le patient détient le savoir : Le souffrant a accès au matériel psychique dénonçant les jeux relationnels dysfonctionnants de son groupe. Par conséquent, il détient les clés pour résoudre le manque de différenciation de son système.
Le patient donne énormément au soignant : le souffrant partage son expérience relationnelle et il met ainsi en relief les règles systémiques. Le thérapeute s’enrichit, au fil des histoires différentes de ses patients, d’une meilleure compréhension de la fonction du symptôme. Il n’y a ni victime, ni coupable dans un problème rencontré : l’interdépendance des systèmes, dans un mouvement synchronique et interactif, annule tout point d’ancrage linéaire dans la naissance d’une tension.
LE RECIT DIDACTIQUE
Par ses connaissances théoriques et son expérience clinique, le thérapeute peut élargir le regard du patient sur son vécu, celui-ci étant pris dans des narrations figées. Il invite à une redéfinition des relations à l’entourage, de l’histoire passée, des évènements, des comportements, des émotions, des expressions défensives. Il sensibilise aux particularités de certains processus systémiques ignorés du patient. Le récit didactique est ainsi à fort potentiel d’ouverture car il permet au souffrant d’intégrer des notions psychologiques essentielles. Ce savoir oriente sur un champ des possibles par les représentations nouvellement offertes et sur lesquelles il va être possible d’élaborer des solutions.Voici quelques exemples de récits didactiques à effet illocutionnaire :
Récits didactiques sur la fonction du symptôme
L’angoisse comme indicateur d’une volonté de changement ; l’angoisse comme possible révélateur de changements positifs brutaux ; le symptôme comme support à l’angoisse ; le symptôme comme fonctionnel.
Récits didactiques sur les limites du champ médical
Les traitements chimiques comme aide mais non comme solution au travail d’élaboration psychique ; le diagnostic du souffrant : un frein à son avancement,
Récits didactiques sur la richesse et la complexité du processus de deuil
Le vécu de deuil n’a pas de règles dans son expression ; le mouvement dépressif est une tentative d’élaboration et d’acceptation du changement.
Récits didactiques sur le décodage du langage humain
La parole est un outil de manipulation ; les mécanismes défensifs révèlent les peurs et fragilités d’une personne ; le corps parle et donne les solutions.
LE RECIT MIRROIR
Le récit miroir représente le récit systémique de la guérison de certains patients à d’autres souffrants. Les auditeurs puisent dans les solutions originales, trouvées par leurs pairs, la manière d’extraire de cette lecture interactionnelle une forme d’inventivité personnelle. Le thérapeute joue sur ce fort potentiel identificatoire des « récits en miroir » pour motiver le patient à s’engager dans le même processus d’avancement. Effectivement, constater de l’heureux dénouement d’une problématique, lorsque le symptôme a été travaillé sous un angle contextuel, motive fortement le patient dans la même démarche.Le souffrant saisit les règles systémiques à respecter dans le démantèlement d’un conflit. Les récits en miroir permettent d’illustrer concrètement la manière dont s’expriment les résistances au changement dans le système. Ce témoignage aide le souffrant à ne pas être déstabilisé par ces phénomènes systémiques inconnus. Il permet de mieux s’ajuster aux dynamiques bruyantes de l’avancement.
LES MOUVEMENTS PSYCHIQUES FAVORISES DURANT L'ENTRETIEN SYSTEMIQUE
L’approche systémique ouvre facilement à ce travail valorisant puisqu’il s’agit de faire réfléchir sur l’utilité d’un symptôme et sur la trop grande générosité du souffrant. Il est percutant de pointer et d’expliquer le paradoxe du sacrifice du patient, de l’excès de soumission dans les actes auto et hétéro-destructeurs. A porter excessivement le stress de son groupe, il devient malade. Ses qualités exceptionnelles d’endurance et de dévouement doivent être mises en relief par le soignant. Elles témoignent de compétences et d’une énergie indiscutables afin de sortir de toute problématique ! De plus, le souffrant détient, dans ses symptômes, la clé de l’énigme pathologique. Il pointe, en effet, dans ses maux les rigidités systémiques. Il dénonce la manière dont la maladie évite le réaménagement de codes archaïques dans son groupe. Ainsi, la douleur du souffrant aide au diagnostic des dysfonctionnements relationnels l’impliquant. Elle est alors un appel au changement et une grille de lecture salutaire afin de désamorcer des dynamiques interactives lourdes voire dangereuses sur du long terme.
Le travail de différenciation
Comme nous l’avons vu ci-dessus, ce travail consiste à aider le souffrant à discerner ses manques de ceux d’autrui. Cet éclairage lui permet d’élaborer ce qui lui revient et de confronter autrui à ses responsabilités propres. Cette délimitation est nécessaire afin de ne pas céder au découragement. Le patient ne s’embourbe pas dans des actions vaines. Non paralysé par un sentiment d’impuissance, il peut alors se mettre à distance émotionnelle pour faire ses choix personnels tout en respectant les fragilités d’autrui.
Le travail du soignant sur la maitrise de ses propres problématiques
L’interprétation paradoxale ne peut être pertinente que dans la prise en compte des propriétés systémiques traversant « l’organisation thérapeutique ». En effet, cette relation d’aide met en présence deux sous-systèmes distincts soignant/soigné s’inter-influençant. Le fonctionnement de cette unité relationnelle constituée est soumis à des repères de rééquilibrage plus ou moins rigides selon les problématiques non élaborées de chacun des adhérents. Ce constat est important afin de mettre en relief la nécessité pour le soignant de cerner ses fragilités et ses zones d’indifférenciation. Leur reconnaissance l’aidera à les neutraliser afin qu’elle ne parasite pas le travail d’individualisation du souffrant. Par exemple, un aidant, peu affirmé dans ses relations, risque de glisser sur une même problématique s’exprimant chez le souffrant s’il ne prend pas conscience de ce manque.
CONCLUSION
Ainsi, le système thérapeutique réunit le patient et le soignant dans un travail de co-partenariat actif leur donnant une position symétrique. Le savoir du patient est aussi signifiant que le savoir du soignant. Ce dernier détient une certaine maitrise des données de Sciences Humaines mais le premier a accès au contexte le plus pertinent à établir pour faire opérer cette pensée de l’aidant. L’intérêt de ce partage est de créer une complicité où chacun osera questionner, détailler, approfondir, découvrir. La censure de l’histoire relationnelle n’existe pas. L’interdépendance des systèmes et son analyse laissent peu de place au hasard !Pour relire la deuxième partie :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/07/la-puissance-therapeutique-des.html
Pour relire la première partie :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/06/la-puissance-therapeutique-des.html
mercredi 2 juillet 2014
La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques (Partie 2)
Interventions thérapeutiques découlant de cette logique systémique
Le sens donné à la souffrance, sous l’angle de la systémique, est
inducteur de nombreuses règles d’intervention signifiantes à respecter dans le
bon accompagnement du consultant. Si l’avancement du patient nécessite que
celui-ci se désengage d’une fonction d’inhibiteur du changement au sein de son
groupe rigide, plusieurs dispositifs thérapeutiques sont à mettre en œuvre pour
faciliter cette dynamique.
Offrir
un cadre sécurisant pour oser penser le changement
La réussite du traitement réside dans la capacité du patient à se
désinscrire de fonctions indifférenciées dans ses systèmes d’appartenance. Ce
remaniement profond de sa place induit automatiquement des peurs, des doutes et
des résistances considérables au changement. La présentation d’un cadre
thérapeutique sécurisant est alors indispensable pour que le patient ose
expérimenter l’inconnu.
Proposer un cadre
chaleureux et confortable
Recevoir le patient dans un lieu, symbole d’ouverture,
d’authenticité et de bienveillance, est primordial. Si le soignant livre, le
premier, la sensibilité et subjectivité de son univers, au travers du cadre
présenté, alors le souffrant, rassuré de cette symétrie relationnelle, ose ce
que tout entretien veut induire : la levée de défenses rigides.
Assurer la
sécurité dans la solidité du cadre
La détermination du
thérapeute à assurer le maintien des conditions nécessaires au bon déroulement
d’un travail psychique est une qualité essentielle. Il met sa fermeté au
service de l’intérêt du souffrant. Il témoigne de sa solidité et de sa capacité
à affronter les moments de tension avec le consultant afin de le guider dans
l’avancement. Il est ainsi attentif à ce que celui-ci ne déborde pas le cadre
et respecte ses règles. Sa solidité doit donner le courage au souffrant de
défier ses peurs de transformation.
La dynamique
directive, attentive et rassurante du début d’entretien
Le consultant a besoin
d’une contenance et d’un guidage rassurant durant les premiers temps de
l’entretien. L’écoute flottante est à bannir des premiers échanges lorsque le
souffrant cherche dans le regard du soignant des points d’ancrage. En
hospitalisation, les premières attentions et paroles sont destinées à
questionner le patient sur son vécu actuel dans ce lieu de soins :
s’est-il facilement adapté aux repères nouveaux de ce cadre, est-il difficile
pour lui de vivre en groupe, dort-il ou mange-t-il bien ? parle-t-il
facilement aux infirmiers ? Est-ce que son entourage lui manque ?
Cette attitude soucieuse et maternante, durant ce temps de crise régressif, est
essentielle à l’instauration du lien.
Posture du thérapeute
pour induire le changement systémique
La connotation
positive du symptôme et l’attitude neutre induite par cette dynamique
La connotation positive consiste à considérer
favorablement les symptômes du souffrant en les reliant à l’objectif
bienveillant de maintenir la cohésion du groupe auquel il appartient. Le
système rigide et traumatisé a peur, de manière erronée, de tout changement de sa structure. Le
trouble apparait alors comme une résistance sacrificielle du patient
désamorçant toute réorganisation crainte
dans son clan. De même, les
comportements symptomatiques des autres membres du système sont également
énoncés dans une dimension positive, et dans cette intention d’union préservée
entre chacun d’entre eux. Tout le monde est inscrit dans un but commun
salutaire de protection de son identité groupale perçue comme menacée. La connotation
positive permet de solidifier le narcissisme du patient puisque ce qu’il
appréhendait comme critiquable, de son ressenti et de ses agissements, peut
être maintenant regardé sous un angle valorisant. En connotant également les
comportements symptomatiques de l’entourage comme bienveillant à l’égard de
l’ensemble du groupe, le souffrant peut se dégager de l’idée de ne pas être
aimé, apprécié, suffisant pour les siens. Il est le porteur de la pathologie
car il se présente comme le plus sensible et le plus généreux pour assurer
cette fonction d’autoconservation groupale. L’attribution des rôles, au sien du
système, s’est ainsi faite naturellement selon les personnalités en présence.
Le souffrant est acteur de ce choix et il a accepté implicitement cette
répartition des places. Grâce à la connotation positive du système dans son
ensemble, le thérapeute s’affiche neutre vis-à-vis de tous les membres.
Personne n’est présenté dans un jugement péjoratif.
La position basse
du thérapeute
La position basse du soignant
doit permettre de souligner le rôle de « guide » qu’il tient auprès
du consultant. Le thérapeute ne détient aucun savoir si ce n’est celui d’aider
le patient à trouver ses propres solutions.
Ses compétences résident dans une écoute exhaustive et une curiosité
entière pour les jeux relationnels dans lesquels il baigne. Ces aptitudes
permettent d’extraire les informations détenues par le souffrant et nécessaires
à la résolution du problème. Il se présente comme celui qui facilitera la
résolution de ces interrogations en reflétant au sujet la réponse singulière et
pertinente cachée derrière son discours systémique. La position basse favorise également
la complicité car elle permet d’accéder à des données supplémentaires.
Témoigner au sujet de notre manque dans l’incompréhension de ses dires ou de
ses émotions constitue un moyen d’investigation toujours plus étendu. Il permet
de multiplier les opportunités du dévoilement d’un matériel psychique
signifiant. Manifester ses manques et fragilités, c’est autoriser implicitement
le consultant à faire de même. Par mimétisme, il découvre qu’exprimer ses
failles est, non un handicap, mais une force d’avancement. Seuls ceux qui
reconnaissent leurs imperfections peuvent apprendre et grandir. Enfin,
restituer au sujet sa position centrale dans ce travail thérapeutique est
renarcissisant durant un temps où l’identité est fragilisée. La personne
intègre dans ce mouvement toute sa valeur et la responsabilité de ses actes et
de son existence.
Le thérapeute est
dans la curiosité du détail
L’analyse concrète et
exhaustive des jeux interactionnels est essentielle à la compréhension de la
souffrance du sujet. Elle permet de cerner les zones d’indifférenciation du
patient. Cet éclairage donne les repères afin d’accompagner le souffrant dans
une solidification de son individuation. Ils révèlent les séquences défensives
et comportementales à modifier, du côté du patient, afin de se désengager de sa
fonction de patient désigné. L’investigation approfondie sur les données
communicationnelles vérifiables est protégée du biais des interprétations
subjectivées de son locuteur. Par conséquent, ces informations mettent en
relief la manière dont les conflits intérieurs du patient déforment le
descriptif de la nature des échanges. Grâce à l’enquête détaillée sur les
conduites verbales et infraverbales de chacun, le thérapeute peut détecter les
dysfonctionnements individuels et communicationnels. Par exemple, l’étude
concrète des jeux relationnels peuvent mettre en relief que celui qui se dit
« méchant » est un homme non affirmé qui commence à mettre des
limites à ses enfants, que celle qui se dit « mythomane » est une
personne qui camoufle la problématique de jalousie excessive de son mari. La
dichotomie entre l’appréciation du patient et la réalité interactionnelle est
la voie indéniable d’accès à sa problématique.
L’humour du
thérapeute
L’humour favorise la
mise en lien et défie les peurs phobiques. Elle respecte, bien sûr, le
caractère douloureux de certaines thématiques mais elle a toutefois pour
ambition de rappeler la dimension profondément humaine de toute chose. Ainsi,
le thérapeute peut exagérer, caricaturer certains traits de personnalité,
défensifs, certains actes et pensées du patient afin de créer un temps d’une
bienveillante attention et dérision. Il pointe alors la problématique enkystée
derrière ces comportements rigidifiés et redondants. Des provocations enjouées
telles que « Vous et votre symptôme de Jésus Christ », « Sans
blague, c’était à peine prévisible de votre part ! » aident à
relativiser pour mieux se confronter au problème. L’humour peut être également
exprimé en adoptant une position d’humilité. Rire de soi et de ses manques
permet de transmettre au consultant une vision positive de la liberté offerte
dans la reconnaissance de son incomplétude. Rire, c’est défier la peur du
manque et accepter qu’être vivant, charmant, intéressant, c’est justement ne
pas être parfait. L’humour crée alors un temps de complicité où deux personnes
partagent leurs fragilités. Le vécu d’une relation asymétrique durant
l’entretien s’estompe alors. L’identification au thérapeute peut opérer et
permettre l’intégration plus aisée des différents processus psychiques
encouragés durant les séances.
La provocation du thérapeute
L’attitude provocatrice peut être une manière
d’utiliser le paradoxe et l’exagération dans son sens thérapeutique. Le
soignant utilise cette forme communicationnelle afin de transmettre son
irritation bienveillante face aux comportements démesurés et sacrificiels du souffrant
à l’intérieur de son système.
« Non, non, dans
l’intérêt de votre famille, je pense qu’il serait plus profitable de ne pas
sortir de votre dépression ! »
« Vous n’y pensez
pas qui va s’occuper de votre mari si vous travaillez à
l’extérieur ? »
« Ne changez pas,
la jalousie de votre femme mérite bien que vous développiez de l’agoraphobie
pour ne pas l’inquiéter avec des sorties futiles ! »
« Continuez à vous
jeter dans les escaliers, car tant que vous êtes la malade, vous protégez votre
maman de sa peur de votre autonomisation, je pense que vous avez raison il est
mieux de vouer toute sa vie à son parent ! »
« Cher enfant, combien te payent tes
parents pour chaque caprice les distrayant de leur dispute ? »
Le thérapeute favorise les temps d’intensité émotionnelle
Le symptôme porte la
trace d’un contrôle et d’un refoulement excessif. Il doit alors se combattre en
encourageant un lâcher-prise sur les émotions signifiantes traversant
l’entretien. Pour cela, il faut repérer les épisodes narratifs de la séance
particulièrement émouvants pour le consultant. Un panel de questions peuvent
être posées sur cette thématique sensible afin de s’y attarder et de créer un
déploiement de l’émotion en cours d’émergence. Il peut être demandé de
détailler la scène interactive de l’évènement éprouvant, les affects ressentis
à ce moment singulier. Le thérapeute aide le consultant à prendre conscience de
l’impact émotionnel de certaines scènes durant les remémorations traumatiques.
Le thérapeute peut
également favoriser les temps d’intensité affective en utilisant la métaphore
« du petit enfant intérieur ». Il encourage un dialogue entre
l’adulte souffrant et la part infantile résonant en lui. Cette confrontation
est importante afin de transformer le rapport entre ces deux facettes
identitaires trop souvent clivées. Aider le patient à écouter, à comprendre, à
valoriser celui qu’il a été enfant, est opérant. Sans cette reconnaissance de
cette interinfluence des deux systèmes (adulte/enfant), l’être immature,
frustré et non entendu, n’aura de cesse de s’exprimer et de parasiter son
chemin d’adulte.
Le thérapeute
accepte et contient les régressions nécessaires à l’élaboration
Le souffrant, sur les sentiers de l’avancement, est
soumis à la complexité des forces régressives. La guérison implique le
démantèlement d’une posture d’indifférenciation campée. Ce remaniement
nécessite de profondes transformations. Il induit donc des résistances au
changement de la même ampleur. Le bruit de la douleur et la contrainte
éprouvante de son éradication oblige le souffrant à traverser des temps de
régressions signifiants. Le thérapeute ne doit pas être surpris de ces épisodes
chaotiques et impressionnants parcourant la destructuration d’une problématique
rigide. Il doit assurer la constance d’un cadre sécurisant, solide et contenant
dans lequel peut se réaliser ce travail psychique intense. Sans cette capacité
du soignant à garantir un cadre résistant à toute épreuve, la contenance d’un
premier mouvement régressif, nécessaire à l’engagement dans un processus
secondaire de transformation, risque d’être entravé. Il faut par exemple
savoir contenir, sans réprimer, des
mouvements agressifs excessifs durant les premiers temps d’apprentissage
maladroit d’une affirmation positive.
La suite la semaine prochaine (Partie 3)
Pour relire la première partie de cet article :
Libellés :
cadre thérapeutique,
humour,
outil systémique,
position basse,
provocation,
régression
lundi 23 juin 2014
La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques (Partie 1)
Retrouvez mon article : « La puissance thérapeutique des narrations paradoxales et systémiques » dans la revue « le journal des psychologues (Adeline Gardinier/Mai 2014).
Depuis quinze ans,
l’échange thérapeutique avec des personnes en situation de crise se révèle
d’une grande richesse. Il est né de ces rencontres singulières et authentiques
une technique d’intervention active pertinente dans ses effets cliniques.
« L’interprétation paradoxale » se présente ainsi comme un outil de
lecture opérant de l’histoire du souffrant. Les regards systémiques, paradoxaux
et analytiques se combinent dans un mouvement synchronique et intégratif afin
d’offrir une narration constructive de la problématique rencontrée. La nature de ces rencontres est
complètement modelée par le raisonnement systémique. En effet, chaque pan de
l’histoire du sujet est réfléchi selon la place que celui-ci tient dans ses
systèmes. Les récits proposés au consultant sont alors une restitution du sens
à donner à son vécu et à ses symptômes sous l’angle de cette approche
contextuelle.
Le sens du symptôme dans un système
Schématiquement, un système est un ensemble d’éléments en interaction
ayant un but commun. Un système ouvert échange de l’information et de l’énergie
avec l’extérieur. Il communique donc avec d’autres systèmes. Ainsi, l’homme, la
famille ou un groupe peuvent être considérés comme
Toutefois, un système fonctionnel et souple est un système capable de
réorientation progressive, vers de nouveaux repères, lorsque des mouvements
périphériques le nécessitent. Il doit être capable de rétablir son équilibre,
de modifier sa structure en fonction des phénomènes qui l’influencent tout en
maintenant son identité dans des objectifs communs.
Dans la pensée systémique, le symptôme apparait dans des systèmes
rigides. Ces organisations sont caractérisées par leur incapacité à intégrer
les ajustements nécessaires à l’introduction des nouvelles données l’impactant.
Elles maintiennent les mêmes codes, le même point d’équilibre quel que soit les
changements bousculant son fonctionnement.
Le trouble du souffrant est alors appréhendé, dans une double valence
contradictoire. Il est, à la fois, un appel au changement mais également, dans
un mouvement opposé, une résistance au changement. Ce paradoxe met en lumière
toute la complexité du sens à donner à
la souffrance à chaque temps de l’histoire du patient. Le symptôme doit être
systématiquement décodé dans ses deux dimensions antagonistes afin de
comprendre la manière dont il trahit le milieu rigide dans lequel il s’inscrit.
Par exemple, la chute hystérique d’une adolescence dans les escaliers
peut traduire le besoin signifiant d’émancipation face à une famille close sur
elle-même ( le symptôme dans une fonction d’appel au changement). Dans un même
mouvement, ce passage à l’acte met en relief un comportement désadapté de la
jeune fille la stigmatisant et la freinant dans ses possibilités
d’autonomisation (le symptôme une fonction de régulateur homéostasique des
anciens repères du système).
La place du patient dans un système
La souffrance du patient est donc le résultat d’une tension interne
signifiante car condensant les stress de son système. Le sujet, dans ses
symptômes, porte les dysfonctionnements des siens. En raison de peurs refoulés,
lointaines voire intergénérationnels, son groupe a établi des représentations
figées sur la manière dont il doit fonctionner. Ces croyances inébranlables
sont donc destinées à se protéger de traumatismes anciens afin de ne pas les
revivre.
Par exemple, une famille, traversée au fil des générations par des
événements à connotation culpabilisante et honteuse, peut développer un mythe
de la perfection et du faire paraitre pour se désaliéner de ce passé
douloureux.
Il va construire des valeurs rigides à par de cette image symbolique qui le définit. Ces
repères identitaires sont donc handicapants car ils ne sont pas malléables. Ils
ne se modulent pas en fonction des divers mouvements vécus par le système.
Ainsi, les résonances émotionnelles, trace d’un passé indicible, paralyse le
groupe dans ses possibilités d’ajustement. Elles entravent toute modification
pertinente des codes sur lesquels repose l’identité du système. Cette
incapacité à faire évoluer sa définition, en fonction des influences qui la
traversent, engendrent un cumul des tensions en son sein. En effet, les
inadaptations croissantes sont sources d’une mobilisation d’énergies coûteuses
afin de les camoufler ou d’assumer leurs conséquences.
Le patient désigné est le membre présentant les fonctions de
réceptacle de ce stress d’inadaptation groupal. Il présente les attributs de
l’implication relationnelle excessive et de la captation entière des émotions
frustrantes externes. Si le symptôme
trahit cette générosité à porter les rigidités d’autrui, il s’agit alors de
redistribuer les responsabilités à l’intérieur du système.
Par exemple, l’enfant développant des symptômes peut, de cette
manière, éloigner ses parents d’un conflit conjugal naissant. Il les distrait
de leurs désaccords en concentrant leurs attentions sur ses douleurs. Le stress
est condensé sur ses maux et non plus à l’endroit des dysfonctionnements du
couple.
Le patient est ainsi le membre le moins différencié du groupe.
Rappelons que plus une personne est différenciée, plus elle est capable d’être
elle-même tout en restant engagé dans ses relations
proches. Le souffrant sacrifie ses choix personnels afin de répondre à un but
identitaire collectif. Il est celui qui dispose de la moins grande autonomie
émotionnelle et psychique puisque sa principale fonction est de camoufler les
fragilités de ses proches.
Guérir dans une désaliénation de son système
Dans
la logique systémique, l’amélioration des troubles doit passer par un
désengagement du patient de son rôle sacrificiel. Il doit acquérir une
délimitation suffisante de son espace personnel moins perméable aux tensions de
son système. Ce remaniement de sa place, au sein de son groupe, nécessite alors
qu’il soit capable de discerner ses propres manques de ceux de ses proches. La
différenciation de soi implique, en effet, le traitement adapté des situations
rencontrées sans parasitage des émotions et des dysfonctionnements externes. Le
patient peut seulement dénouer les conflits lui appartenant. Il doit ainsi
circonscrire ses fragilités et les élaborer. Il est également essentiel qu’il
repère et restitue aux membres de son système leurs failles respectives. Cette
clarification des rôles et des responsabilités, dans l’organisation groupale,
permet que les problématiques soient réglées au bon endroit. La confusion des
attributions de place conduit sinon à
une inadaptation croissante au sein de l’unité. Si le souffrant ne reconnait
pas ses incomplétudes, il les projette ailleurs et il ne les élabore jamais.
S’il prend à son compte les problèmes d’autrui, il entrave la nécessaire
confrontation du véritable impliqué avec ce qui lui appartient. Il empêche
alors la résolution d’un manque ne pouvant être comblé que par la personne
concernée. L’approche systémique met ainsi en relief l’importance d’une
répartition cohérente des énergies au sein du système. Le patient, dans un
travail thérapeutique, s’applique à déployer ses forces évolutives à l’endroit
de ses insuffisances et il veille à ne pas les concentrer ailleurs. Chaque
membre du groupe doit mobiliser ses propres dépenses énergétiques afin de se
défaire d’inadaptation personnelle.
La redistribution opérante du stress, au sein du système, oblige à une
remise en mouvement adaptative. Le patient est dégagé d’une surcharge anxiogène
et donc des symptômes la révélant. Bien sûr, l’intégration de cette logique
spatiale systémique doit être clairement explicité au souffrant afin qu’il
abandonne ses fonctions de condensateur de stress. Il faut jouer sur sa grande
générosité et sensibilité pour lui faire accepter que le bien-être, des siens
et de lui-même, passe par une meilleure différenciation de chacun. La gestion
des tensions doit se dérouler au bon endroit. Elle implique donc du souffrant
une non intervention sur différents registres relationnels. Elle oblige à un
apprentissage de fonctions moins enchevêtrées au groupe d’appartenance. Le
souffrant est confrontée à ses peurs de changement mais également à celles de
son système. Il a cette double mission de maitrise émotionnelle. A savoir, il
doit dépasser ses phobies et il doit témoigner à son système la permanence de
son attachement affectif. Cette stabilité relationnelle est difficile face aux
attaques des siens pour entraver le processus de transformation qu’il a induit
laborieusement. Cependant, il est important d’aider le consultant à maintenir
le lien avec son système pour contenir les angoisses d’éclatement identitaire
groupale. Celles-ci sont particulièrement intenses depuis l’amorce d’une
dynamique nouvelle chez le souffrant. La réassurance dans une cohésion
préservée, malgré les nouvelles données entrantes, permettra à l’ensemble des
membres d’accepter plus rapidement la restructuration de leur système.
La suite la semaine prochaine (partie 2) ....
La suite la semaine prochaine (partie 2) ....
Libellés :
guérir,
journal des psychologues,
narrations paradoxales,
symptôme,
systémique,
thérapeutique
mardi 17 juin 2014
Interview dans la revue du Cercle Psy
« Dans une perspective systémique, le patient porte le stress de son groupe, tout en le niant. C’est une position sacrificielle, dont il faut le désengager progressivement », recommande la psychologue clinicienne Adeline Gardinier, dans son ouvrage Aider le patient à sortir de la crise : une méthode psychothérapeutique. Le patient est un soignant qui s’ignore (De Boeck, 2013).
Prescrire le symptôme pour mieux s’en débarrasser lui semble une démarche parfois nécessaire, mais insuffisante sans un long travail pédagogique. « Pour moi, le symptôme est le début de l’avancement : chaque patient a instinctivement tenté de mettre en place la bonne solution, mais s’est arrêté, parce que le symptôme ou le discours des soignants l’ont déstabilisé. » Il faut donc expliquer en quoi le symptôme n’est pas mauvais en soi, le valoriser et le décrypter. « Si on n’explique pas en quoi le symptôme peut l’aider, le sujet peut ne pas se sentir entendu. »
Adeline Gardinier travaille donc avec ses patients à ce qu’elle appelle un « récit paradoxal », c’est-à-dire un long travail d’élaboration qui va de pair avec l’instauration du lien thérapeutique. « On propose au patient une représentation de la systémique qu’il puisse comprendre. Les deux dimensions constructrices du trouble lui sont présentées. D’une part, le symptôme permettrait la construction d’interactions plus adaptées. D’autre part, il éviterait des changements trop rapides et donc trop chaotiques. »
La compréhension et l’acceptation du symptôme entraînent, selon Adeline Gardinier, sa recrudescence provisoire, et donc une première phase d’aggravation que les soignants doivent contenir. C’est ce nouveau mode d’expression du symptôme qui doit paradoxalement aboutir à l’amélioration du patient.
Prescrire le symptôme pour mieux s’en débarrasser lui semble une démarche parfois nécessaire, mais insuffisante sans un long travail pédagogique. « Pour moi, le symptôme est le début de l’avancement : chaque patient a instinctivement tenté de mettre en place la bonne solution, mais s’est arrêté, parce que le symptôme ou le discours des soignants l’ont déstabilisé. » Il faut donc expliquer en quoi le symptôme n’est pas mauvais en soi, le valoriser et le décrypter. « Si on n’explique pas en quoi le symptôme peut l’aider, le sujet peut ne pas se sentir entendu. »
Adeline Gardinier travaille donc avec ses patients à ce qu’elle appelle un « récit paradoxal », c’est-à-dire un long travail d’élaboration qui va de pair avec l’instauration du lien thérapeutique. « On propose au patient une représentation de la systémique qu’il puisse comprendre. Les deux dimensions constructrices du trouble lui sont présentées. D’une part, le symptôme permettrait la construction d’interactions plus adaptées. D’autre part, il éviterait des changements trop rapides et donc trop chaotiques. »
La compréhension et l’acceptation du symptôme entraînent, selon Adeline Gardinier, sa recrudescence provisoire, et donc une première phase d’aggravation que les soignants doivent contenir. C’est ce nouveau mode d’expression du symptôme qui doit paradoxalement aboutir à l’amélioration du patient.
Libellés :
Adeline Gardinier,
cercle psy,
crise,
paradoxe,
patient,
psychothérapie,
symptôme
jeudi 12 juin 2014
Les états d'agitation | partie 3
Cet article est la suite de la 2e partie publiée le 5 juin 2014 :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/06/les-etats-dagitation-partie-2.html
Double langage dans le soin
Lorsqu’un patient hospitalisé n’est pas entendu dans la dimension réparatrice de ses conduites excessives, il risque de se sentir bafoué et freiné dans l’expression de son identité personnelle. La peur qu’il provoque chez les soignants, engendrée par la dimension non encore maîtrisée de son essai d’individuation, peut créer en lui une révolte interne très bruyante.Trop souvent, de nouveaux débordements sont provoqués, de façon non intentionnelle, par les conduites des soignants. La forte répression et dépréciation de ces élans d’émancipation provoquent un grand stress entre soignant et soigné. Le malade se voit court-circuité brutalement dans un mouvement psychique coûteux. Il est critiqué là où il est admirable. Il ose enfin défier ses peurs d’autonomisation par le biais d’un cadre neutre et thérapeutique mais il est dissuadé et jugé sévèrement par ces mêmes personnes qui l’ont pourtant encouragé auparavant à se lancer dans ce défi méritant ! Le soignant a engagé son patient dans un double lien : différencie-toi sans te différencier…
Zoé et le sentiment d’injustice
Zoé, 49 ans, a été hospitalisée à de nombreuses reprises pour recrudescence d’angoisses et d’idées noires. Depuis plus de trente ans, elle entretient une sorte de relation sadomasochiste avec son ex-conjoint, qui l’enferme dans une position indifférenciée très dangereuse. Lors de ses séjours, elle exprime son incapacité à énoncer ses frustrations et ses colères. Elle craint des conséquences catastrophiques si elle ose parler de son ressenti. Zoé a expérimenté, dans cette union conjugale pathogène, les résonances dangereuses de l’expression de soi. Ainsi, lorsque qu’elle commence à s’affirmer, au fil d’hospitalisations renarcissisantes, le caractère encore grossier de la démarche attire les plus vives réactions de l’équipe. Zoé est dans des provocations, des refus, des comportements volages, des brusqueries verbales, des sourires ironiques et des oppositions passives irritantes. Ces excès traduisent ses propres résistances à changer. Indirectement, elle teste également le cadre thérapeutique. Pourra-t-il lui démontrer qu’elle est vraiment autorisée à moduler ses rôles et fonctions dans ses divers systèmes d’appartenance ?Lors d’un entretien avec le psychiatre, Zoé fait une crise de nerfs impressionnante. De lourds sanglots et des raclements aigus l’empêchent de parler. À distance, cette réaction s’explique. Le médecin a demandé à ce que Zoé souffle dans un éthylotest à chaque retour de ses sorties. Cette prescription a été posée suite à de nombreuses irritations des soignants face à ses comportements croissants de désinvolture et d’agressivité. Zoé a confié que cette procédure lui rappelait étrangement l’injustice, l’insécurité et la trahison vécues dans sa relation de couple. Son corps bruyant mimait la détresse à être entravée dans une légitimité d’expression. Son état d’agitation traduisait l’avortement d’un mouvement laborieux d’autonomisation. La crise était née d’une tension à laquelle s’était surajoutée celle provoquée par l’autorité illégitime du médecin. Sa dynamique évolutive avait été court-circuitée brutalement.
La contenance des pulsions hostiles ne doit ainsi pas être confondue avec leur répression. Cet amalgame conduit le patient dans conflits internes qui découlent des propres dysfonctionnements des soignants. Par ailleurs, l’ancien compagnon de Zoé était, de plus, gendarme ! L’équipe a reproduit, involontairement, le message sadique du mari agresseur : le non droit de choisir sa place dans un système et le devoir de répondre à des ordres groupaux arbitraires.
Crise d’adolescence ?
La période charnière entre l’enfance et l’adolescence est bien sûr un temps de remaniement essentiel des rôles et des fonctions dans le système premier. Il n’est donc pas rare de constater des troubles comportementaux impressionnants chez des jeunes dont le groupe d’appartenance est rigidifié dans des codes fonctionnels précis. La tentative de différenciation naturelle de l’être en devenir est alors source de nombreux états chaotiques.Léa dans le flou thérapeutique
À 17 ans, Léa est empêtrée dans un fonctionnement limite depuis plus de deux ans et elle entame un travail psychothérapeutique. Les automutilations, les passages à l’acte auto et hétéro agressifs sont réguliers. Ils s’accentuent et l’adolescente se réfugie de plus en plus dans un fonctionnement psychotique. Lors des hospitalisations, des crises anxieuses et agressives se déclarent brutalement. Cependant, si on se penche sur leur origine, les indices d’une entrave thérapeutique au processus d’individuation apparaissent systématiquement. Léa revit avec les soignants la confusion du discours contradictoire de sa famille : autonomise-toi sans t’autonomiser ! D’un côté, l’équipe lui tient un discours rassurant de contenance et d’encouragement à l’émancipation.D’un autre coté, les actes cliniques traduisent une dynamique contraire. L’insuffisante prise en compte du contexte familial, l’attitude défensive infantilisante des soignants, le renforcement involontaire du discours enfermant des parents par l’équipe donnent ainsi lieu à de nombreuses situations paradoxales. Léa est responsabilisée dans ses décisions personnelles mais dans un même mouvement, des consignes médicales rigides lui sont administrées. Elle est régulièrement assurée du soutien de l’équipe dans sa démarche d’émancipation mais brutalement un ordre de sortie définitif par le médecin est posé sans justification et sans la consulter. Léa réagit à ce flou thérapeutique par l’expression d’une tension intenable et d’une décharge dans des passages à l’acte. Que d’énergies frustrées à être systématiquement rattrapée dans ses élans coûteux d’avancement !
L’adolescence est ainsi une des étapes où un besoin signifiant d’émancipation peut faire éclater, dans des attitudes théâtrales, un modèle de fonctionnement systémique enkysté. Toutefois d’autres événements accidentels ou du cycle de la vie sont susceptibles de venir dénoncer et débrider un processus d’individuation insuffisant. Le comportement désorganisé signe alors la frustration sévère d’une personne à être compromise, par les siens ou le monde soignant, dans un élan personnel méritant.
En conclusion
Dans certains contextes, des débordements psychomoteurs, des passages à l’acte paraissent ainsi liés à un processus interne épuisant et positif, frustré dans son ébauche. La perspective systémique permet d’éclairer des réactions secondaires aux traitements, des décompensations bruyantes. En effet, l’écho paralysant de la chimie sur l’émergence d’un processus psychique débridé parasite le mouvement thérapeutique en cours. L’antalgie médicamenteuse frustre une élaboration structurante et délicate enfin mise en marche. La détente organique est en effet redoutée à un moment de haute vigilance psychique !Entre relâchement important du corps et pression extrême de l’esprit, l’agitation sollicite une décharge de tension née de ces deux dynamiques opposées. Dans cette perspective, les états d’excitation sont un bon indicateur du problème et des solutions à mettre en œuvre. Ces symptômes pointent non pas les incohérences du sujet mais plutôt celles des systèmes extérieurs. Paradoxalement, ces comportements désadaptés mettent en relief une inversion des rôles où le patient est un soignant qui s’ignore et est ignoré par ses pairs dans sa fonction auto-curative. Dans ses débordements, il semble nous crier, de manière désespérée, une vérité thérapeutique. Ne nous transmet-il pas, avec frustration, un paradoxe contextuel : la réalité déstructurante n’est pas la mienne mais celle d’autrui. Le monde extérieur lui renvoie des messages contradictoires dans une confusion à saisir les dynamiques systémiques l’environnant ! La personne agitée est alors victime de sa trop grande lucidité retrouvée et du trop grand aveuglement de ses systèmes d’appartenance.
Pour relire la 1ère partie de cet article :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/05/les-etats-dagitation-partie-1.html
Pour relire la 2e partie de cet article :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/06/les-etats-dagitation-partie-2.html
Inscription à :
Articles (Atom)